Windhaven

Windhaven

"Car une fois que vous aurez goûté au vol, vous arpenterez le sol les yeux tournés vers le ciel ; car là vous aurez été et là vous vous languirez de revenir" Ces mots de Léonard de Vinci ne pouvaient trouver meilleure illustration que ce roman de George Martin et Lisa Tuttle. On avait l’habitude de lire jusqu’ici des textes qui s’apparentaient au fantastique pour Lisa Tuttle (pour la petite histoire elle a été mariée avec Christopher Priest). Quant à George R. R. Martin, il s’était fait remarquer dans le milieu des années soixante-dix avec un roman ambitieux, L’Agonie de Lumière et surtout avec ses nouvelles prometteuses*. Après une absence prolongée, il revint sur le devant de la scène avec son cycle Le Trône de fer.

Terremer mais sans la magie

Sur une planète recouverte d’eau et ne laissant dépasser qu’un petit millier d’îles, un vaisseau venant de la Terre s’est écrasé il y a des siècles. La vie a repris le dessus et les humains se sont adaptés à ce nouvel environnement qui, à cause des tempêtes soufflant continuellement et des monstres gigantesques qui hantent ses océans, ne laisse pour tout moyen de communication efficace que la caste des aériens. Ces messagers se transmettent au fil des générations des paires d’ailes de métal dont le secret de fabrication est perdu depuis des lustres. Au fil du temps, le nombre d’ailes diminue avec les accidents des messagers. Une tradition rigide guide la transmission de ces outils vitaux. Mariss, une enfant de pêcheur n’était pas destinée à devenir une aérienne alors que dès le plus jeune âge, elle n’avait d’yeux que pour les cieux. Sa vie prend un tournant inattendu, lorsque Russ, un aérien qui n’a pas de descendance l’adopte conformément à la loi pour lui transmettre ses ailes. Tout va pour le mieux pour l’adolescente qui réalise le rêve de sa vie : voler. Ce rêve se brise le jour où enfin, la femme de Russ lui donne un enfant. A ses treize ans, Mariss devra lui rendre l’héritage qui lui revient de droit…

Seule contre tous et surtout contre la loi séculaire

En cinq parties, les moments clefs de la vie de Mariss nous sont décortiqués avec ses motivations, ses craintes, ses luttes intérieures entre devoirs et désirs, bref tous les combats de son existence menés par la seule envie de voler. Les personnalités des deux auteurs fusionnent à tel point que le lecteur ne peut dire d’où vient tel ou tel élément mis à part le personnage de Mariss qui vient très probablement de Tuttle. Mariss apprendra au fil des années qu’on ne peut impunément arracher un seul fil de la trame d’une tradition séculaire sans que tout l’édifice ne s’effondre ou du moins ne soit profondément et irrémédiablement transformé. Ajoutez à cela une réflexion sur l’information, sa transmission et son utilisation et vous aurez une idée des richesses que recèle ce roman.

Profond, sensible, poétique et dur…

Martin et Tuttle en plus de nous livrer un roman à la fois accessible et riche passent à la loupe l’enchaînement des événements qui provoqueront un schisme au sein des aériens. Au travers de personnages sensibles et vrais, on ne sera pas près d’oublier la vie de Mariss et sa lutte contre tout un système, ni des déchirements que cette révolte entraînera. De sa naissance et sa reconnaissance en tant qu’aérienne jusqu’à sa chute, elle apprendra que les plus nobles et plus belles théories s’échouent souvent sur les écueils de la pratique. Il y a des livres qui séduisent dès la première page, qui ne vous lâchent pas jusqu’à la dernière et qui vous marquent pour longtemps, Windhaven est un de ceux-là. Attachant et juste, à la fois simple et intelligent, il regroupe toutes les qualités qui font l’essence même de la SF : allier la distraction à la réflexion.

Un personnage féminin qui restera longtemps dans les mémoires

Paru sous le titre Elle qui chevauche les tempêtes dans la collection Lunes d’Encre qu’il inaugurait, Windhaven est un excellent roman. Alors n’hésitez pas une seule seconde et découvrez l’histoire de "la fille qui désirait tant avoir des ailes qu’elle a changé le monde."