Délaissant une carrière de publicitaire, Christian de Metter fait le choix du dessin (qui s'associera parfois à la plume). Bien lui en a pris. Emma, Dusk, Swingging London, Le Curé, révèlent et confirment son talent.
La figuration au quotidien
Un jeune homme qui rêve d’écriture tout en restant bloqué sur la page blanche traîne ses guêtres dans des cimetières, d’enterrements en enterrements. Un jour, il fait la connaissance d’un homme qui semble partager la même activité étrange. Cette rencontre, c’est l’ouverture d’une porte sur une réalité dérangeante : l’homme est en fait un employé de Figurec, une entreprise tentaculaire mais inconnue de tous, qui offre des services de… figuration, mais non dédiés à
Bienvenue dans un monde où les possibilités d’illusion sont infinies, où tout un chacun peut jouer au prestidigitateur à condition de disposer d’un confort financier bien réel.
Consistance de l'adaptation
Une des (très nombreuses) raisons pour lesquelles le lecteur adhère au roman de Fabrice Caro est que celui-ci a choisi de situer son histoire de nos jours. Nul besoin de se projeter dans un futur plus ou moins lointain et / ou dans une contrée lointaine ou imaginaire pour faire fonctionner son histoire et la rendre crédible. Un des enjeux de l’adaptation était là, et le défi est relevé avec succès par Christian de Metter : le dessinateur donne corps aux décors et aux personnages avec réalisme. Le souci du détail est au cœur de son travail, de la conception des factures Figurec aux pochettes de disques kitchos années 80 collectionnées par Julien, un ami du personnage principal. L’univers de référence du héros est le nôtre et les traits de ce héros, d’ailleurs, ne nous sont pas tout à fait inconnus : de Metter reconnaît dans une interview s’être inspiré du visage d’Arthur H, chanteur contemporain.
Si de Metter réussit cette transposition réaliste, il excelle particulièrement pour croquer l’irruption de la fameuse « inquiétante étrangeté » propre à la plongée dans le fantastique. Mais la grande réussite réside dans la superposition permanente de ces deux esthétiques : réalisme des détails ET trait vacillant, tortueux, rendu grâce à l’utilisation de l’aquarelle. Ainsi s’immisce dans chaque planche la possible évaporation du réel, figurant avec brio la thématique vampirisante des apparences trompeuses. Au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, les repères quotidiens du héros semblent partir en fumée imposant une permanente remise en question : qui est qui ? Untel est-il véritablement celui qu’il prétend être ? Le doute, menaçant, plane telle une chape de plomb sur la vie du héros.
Une brillante réflexion sur le cauchemar de l’illusion
Le tour de force de Fabrice Caro et de Christian de Metter est d’actualiser la thématique baroque de l’illusion des apparences. L’obsession baroque du théâtre du monde est ici prise au pied de la lettre et poussée à l’extrême : et si la vie était véritablement un théâtre dans le lequel chacun joue un rôle et est payé pour cela, officiellement « figurant » ? On obtient alors la société dans laquelle s’insère l’agence « Figurec ». Le héros, Sigismond moderne (La Vida es sueno de Caldéron, œuvre majeure du théâtre baroque), au bord du délire, devient lui-même acteur de sa propre vie, comme le montre au lecteur une effrayante scène de repas solitaire où le jeune homme se lance dans un monologue avec les murs de son salon pour seuls spectateurs.
Solitudes modernes
Figurec se double donc, on l’aura compris, d’une réflexion sur la misère affective générée par nos sociétés modernes. Figurec dessine le portrait de personnages devenus de véritables metteurs en scène de fortune, si esseulés qu’ils en viennent à s’inventer des compagnons de vie, flirtant sans cesse avec la confusion entre le fictif et le réel. « Figurec », cruelle entreprise vendeuse d’illusion, est pour Fabrice Caro comme Christian de Metter, "une anticipation à très court terme".
(vers 2424 à 2460 ; Traduction de Bernard Sesé, Garnier-Flammarion, 1996)
Caldéron, La Vie est un songe