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Figurec

Aux éditions : 
Date de parution : 31/01/07  -  BD
ISBN : 2203391685
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Virginie   - le 31/10/2017

Figurec

Délaissant une carrière de publicitaire, Christian de Metter fait le choix du dessin (qui s'associera parfois à la plume). Bien lui en a pris. Emma, Dusk, Swingging London, Le Curé, révèlent et confirment son talent.

La figuration au quotidien

Un jeune homme qui rêve d’écriture tout en restant bloqué sur la page blanche traîne ses guêtres dans des cimetières, d’enterrements en enterrements. Un jour, il fait la connaissance d’un homme qui semble partager la même activité étrange. Cette rencontre, c’est l’ouverture d’une porte sur une réalité dérangeante : l’homme est en fait un employé de Figurec, une entreprise tentaculaire mais inconnue de tous, qui offre des services de… figuration, mais non dédiés à la fiction.

Ainsi, le quotidien est habité de figurants aux missions variées : il peut s’agir de remplir des salles pour des événements ou lancements divers, de déambuler à l’infini dans des supermarchés armé d’un charriot qui doit être rempli par tel ou tel produit afin d’inciter les véritables clients à la consommation, de s’attabler dans un café en mal de fréquentation… Mais la pieuvre Figurec déroule aussi ses tentacules à l’échelle de l’intime. Tout quidam peut s’offrir un figurant pour transformer voire transcender la fadeur de son existence : vous avez des parents quelque peu désespérés de voir leur fiston toujours célibataire ? Pourquoi ne pas engager une belle-fille pour l’épreuve des déjeuners dominicaux ? A l’inverse, vous vous inquiétez de la solitude d’un membre de votre famille ? Engagez donc un figurant pour jouer le rôle de l’ami fidèle !

Bienvenue dans un monde où les possibilités d’illusion sont infinies, où tout un chacun peut jouer au prestidigitateur à condition de disposer d’un confort financier bien réel.

Consistance de l'adaptation

Une des (très nombreuses) raisons pour lesquelles le lecteur adhère au roman de Fabrice Caro est que celui-ci a choisi de situer son histoire de nos jours. Nul besoin de se projeter dans un futur plus ou moins lointain et / ou dans une contrée lointaine ou imaginaire pour faire fonctionner son histoire et la rendre crédible. Un des enjeux de l’adaptation était là, et le défi est relevé avec succès par Christian de Metter : le dessinateur donne corps aux décors et aux personnages avec réalisme. Le souci du détail est au cœur de son travail, de la conception des factures Figurec aux pochettes de disques kitchos années 80 collectionnées par Julien, un ami du personnage principal. L’univers de référence du héros est le nôtre et les traits de ce héros, d’ailleurs, ne nous sont pas tout à fait inconnus : de Metter reconnaît dans une interview s’être inspiré du visage d’Arthur H, chanteur contemporain.

Si de Metter réussit cette transposition réaliste, il excelle particulièrement pour croquer l’irruption de la fameuse « inquiétante étrangeté » propre à la plongée dans le fantastique. Mais la grande réussite réside dans la superposition permanente de ces deux esthétiques : réalisme des détails ET trait vacillant, tortueux, rendu grâce à l’utilisation de l’aquarelle. Ainsi s’immisce dans chaque planche la possible évaporation du réel, figurant avec brio la thématique vampirisante des apparences trompeuses. Au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, les repères quotidiens du héros semblent partir en fumée imposant une permanente remise en question : qui est qui ? Untel est-il véritablement celui qu’il prétend être ? Le doute, menaçant, plane telle une chape de plomb sur la vie du héros.

Une brillante réflexion sur le cauchemar de l’illusion

Le tour de force de Fabrice Caro et de Christian de Metter est d’actualiser la thématique baroque de l’illusion des apparences. L’obsession baroque du théâtre du monde est ici prise au pied de la lettre et poussée à l’extrême : et si la vie était véritablement un théâtre dans le lequel chacun joue un rôle et est payé pour cela, officiellement « figurant » ? On obtient alors la société dans laquelle s’insère l’agence « Figurec ». Le héros, Sigismond moderne (La Vida es sueno de Caldéron, œuvre majeure du théâtre baroque), au bord du délire, devient lui-même acteur de sa propre vie, comme le montre au lecteur une effrayante scène de repas solitaire où le jeune homme se lance dans un monologue avec les murs de son salon pour seuls spectateurs.

Solitudes modernes

Figurec se double donc, on l’aura compris, d’une réflexion sur la misère affective générée par nos sociétés modernes. Figurec dessine le portrait de personnages devenus de véritables metteurs en scène de fortune, si esseulés qu’ils en viennent à s’inventer des compagnons de vie,  flirtant sans cesse avec la confusion entre le fictif et le réel. « Figurec », cruelle entreprise vendeuse d’illusion, est pour Fabrice Caro comme Christian de Metter, "une anticipation à très court terme".

 
Alors seules parades devant cette effrayante chronique d'une dérive annoncée: lire cette brillante adaptation BD, lire et relire le roman de Fabrice Caro, et laisser résonner la voix de Sigismond :

"Allez-vous-en, ombres qui simulez
Aujourd'hui à mes sens moribonds
Un corps et une voix, tant il est vrai
Que vous n'avez ni voix ni corps ;
Je ne veux pas de fausses majestés,
Je ne veux pas de splendeurs chimériques,
Illusions fantastiques,
Qui au plus léger souffle s'évanouiront."

(vers 2424 à 2460 ; Traduction de Bernard Sesé, Garnier-Flammarion, 1996)

Caldéron, La Vie est un songe

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