L’histoire commence, comme la plupart de celles qui ont marqué nos bonnes vieilles 80’s, dans la banlieue de Manchester où Steve Jackson et Ian Livingstone se sont rencontrés et ont grandi. Nourris très tôt aux wargames sauce US, ils ont choisi de s’embarquer ensemble dans une vie de bohème au sortir de leurs études, partageant un van en écrivant fiévreusement quantité de livres-jeu et de projets de jeux de plateau de société. Ils ont fondé Games Workshop, un éditeur de jeux de société renommé pour la série des Warhammer et le journal White Dwarf, tout en publiant leurs livres-jeu chez Puffin – la collection de Penguin Books dédiée à la jeunesse. Ian Livingstone est passé à la jeunesse depuis, chez Eidos, où il officie comme Directeur de la Création. Le monde du jeu vidéo lui doit la résurrection réussie de Lara Croft. Ian Livingstone a été décoré de l’Ordre de l’Empire Britannique pour « services rendus à l’industrie du jeu vidéo » en 2006.
Le grand retour ?
Le retour de la série des Défis Fantastiques chez Gallimard marque celui des "Livres dont vous êtes le héros" : des livres-jeu qui promènent le lecteur de paragraphes en paragraphes en fonction des choix qu’il opère. Ces livres, conçus comme des arborescences sur le mode « il faut obtenir l’objet A/B/C/D puis résoudre les énigmes E/F/G pour vaincre le dragon/sorcier/vampire/mutant pestiféré venu de l’espace extérieur », ont connu un vif et flamboyant succès dans les années 80-90 avant de disparaître des rayons. Sorte de poncif des soirées des trentenaires s’exclamant soudain : « Ah oui, le Sorcier de la montagne de feu, il était buggé, j’ai mis douze heures pour le finir », tout portait à croire que le genre allait finir en délice de bouquiniste avide d’escroquer quelques nostalgiques tout juste revenus de la soirée Goubli-Boulga de la veille. La vraie raison de ce retour, c’est le rachat de la gamme par Wizards of the Coast, la société qui supervise le jeu de cartes Magic the Gathering et le jeu de rôle Donjons et Dragons. Les trentenaires sont ravis, surtout pour pouvoir enfin l’acheter à un prix abordable pour leurs chères têtes blondes et en profiter pour en refaire un ou deux en cachette. Mais voilà, les têtes blondes, elles, s’échangent des Pokémons via port USB dans la cour de récréation. Vous sentez le hic ou pas encore ?
Le plaisir solitaire et la nostalgie
Ces livres ont été conçus pour pouvoir jouer seul à une époque où aucun ordinateur ne permettait vraiment d’immersion satisfaisante. L’irruption de l’Internet et le développement d’interfaces de jeu de plus en plus attractives gomme littéralement le besoin de suivre un mécanisme de jeu quelque peu archaïque au travers des sections d’un livre. La plupart des jeux utilisent également des arborescences, mais ils le font implicitement, au travers d’un écran coloré qui dissimule la triste logique de la chose. Dans un tel paysage, les "Livres dont vous êtes le héros" apparaissent un peu comme une antiquité, certes fondatrice et importante, mais dont l’utilité paraît difficilement probante. C’est comme si un électricien tentait de vous fourguer une dynamo alimentée par une bicyclette lorsque vous lui demandez de rétablir le courant dans le salon. Pour autant, les trentenaires pourraient être tentés de se remettre au vélo pour voir comment ça fait, un peu comme leurs grands-parents à eux, qui tournaient toujours à la chicorée au petit déjeuner suite à une fâcheuse habitude prise à la fin de la guerre. Sans vouloir porter de jugement trop hâtif sur la validité de l’expérience, il convient de signaler que si les livres sont restés les mêmes, les trentenaires ont, eux, grandi et que les chances que leur perception ait changé sont nettement supérieures à zéro. La magie qui faisait scintiller le regard rôde encore devant quelques dessins et le souvenir d’un paragraphe ou d’un autre peut arracher un sourire aux plus nostalgiques mais il faut constater, à un moment où un autre, que le temps a fait son œuvre de désillusion. C’est sans doute que les "Livres dont vous êtes le héros" sont restés destinés à un public plus jeune.
Destination jeunesse ?
En les présentant comme un jeu, ou une autre façon de jouer, les "Livres dont vous êtes le héros" sont battus à plate couture par le développement de l’informatique, mais en les abordant comme des livres, ils demeurent sans doute une bonne manière d’intéresser un public pré-adolescent aux joies de la lecture. C’est la fenêtre de tir dont dispose l’éditeur : le choix d’adultes désireux de décrocher leurs enfants de leurs postes et consoles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la gamme est désormais produite par l’éditeur majeur des jeux qui nécessitent encore l’usage de papier et de crayon. Il faudra pour s’assurer du succès de l’entreprise un effort de communication important et sérieux tant le concept du livre-jeu semble aujourd’hui désuet. Quitte à se lancer dans l’entreprise, par contre, il faut signaler que la série des Défis Fantastiques suit une chronologie relative : chaque livre peut être joué (ou lu) de façon indépendante, mais une histoire se dessine néanmoins en filigrane du tome 1 au tome 18 et la lecture y gagne en profondeur, donnant presque une sensation de saga. Ces livres sont en outre, une très bonne initiation au jeu de rôle pour quiconque caresserait le projet d’y amener une nouvelle génération.