Un nouveau Jodorowsky, c’est toujours un événement. L’auteur de L'Incal, du Lama Blanc, d’Alef Thau, des Technopères, l’un des maîtres les plus inspirés de la BD contemporaine a égrené au fil du temps une œuvre abondante, originale, épique, qui fait référence pour plusieurs générations de lecteurs. Ayant toujours su s’entourer des meilleurs dessinateurs (Moebius, Gimenez, Arno, Boucq), il n’est pas surprenant que son nouveau complice, Dos Pastoras, alias Julio Martínez Pérez, dessinateur des Hérésiarques avec Portela, soit, lui aussi, un virtuose du crayon et de la couleur.
Dos Pastoras prend la suite de Gimenez dans la genèse généalogique de La caste des méta-barons. Castaka, c’est l’histoire du clan qui donnera naissance à la lignée des aïeuls du combattant ultime. C’est la caste des proto-barons. Avant Othon, le trisaïeul, premier de la série précédente, il y a donc eu Dayal, le premier ancêtre et il y en aura, à n’en pas douter, beaucoup d’autres pour compléter la généalogie des grands guerriers de la galaxie.
Dayal, le baron séminal
Devant l’imminence d’un grand danger, Bérard, le doyen de la caste, réunit sa famille pour tirer les ultimes enseignements de l’histoire de ses ancêtres. Au terme d’un combat rituel avec son fils, Othon von Salza, l’ancien remonte aux origines de la dynastie : la planète Ahour-la-Naine et le premier ancêtre Dayal de Castaka.
La petite planète est le siège d’une lutte fratricide et ethnicide entre deux tribus, les Amakura et les Castaka, qui, au nom de l’honneur, ont renoncé aux lasers et aux armes spatiales pour des combats plus médiévaux. De cette lutte sauvage, exacerbée par l’enlèvement de la reine Oriela, naîtra Dayal, le seul humain non stérile et survivant en mesure de perpétuer la caste.
Transgression et fantasme de descendance
C’est un Jodorowsky plus grave, plus sombre et plus darwinien que jamais qui nous trace les origines chaotiques de la caste. Pas une trace d’humour (bye bye John Difool). De l’heroic SF fantasy de personnages solitaires, sur lesquels repose la survie du clan. Servie par les superbes dessins colorés de Dos Pastoras, qui recrée, en plus réaliste, moins gris et moins brumeux, l’ambiance graphique de Gimenez (mais Gimenez reste inimitable).
Comme Arrabal et Topor, Jodorowsky est un auteur de la transgression. Il flirte avec une liberté qui se découvre dans le dépassement des tabous sexuels, familiaux et moraux. Viol public de la reine, un dessin sur deux pages du massacre de femmes et d’enfants, Dayal copulant chaque jour avec trois femmes différentes pour préserver l’espèce, morsures maternelles, têtes tranchées pour l’honneur, etc. Cette fascination pour la violence et le chaos, source de revitalisation, se double d’une réflexion sur la filiation et la descendance, essence même de la série. Comment être à la hauteur de son père ? Comment le dépasser en le détruisant et en l’assimilant ? Comment devenir soi-même père et propager sa lignée à travers plusieurs générations ? Comment assumer le destin de sa caste et de son espèce en surmontant les défis de l’espace et du temps ?
Des héros méta-zen et méta-puissants, toujours rappelés à leur fragilité d’être et toujours confrontés à l’absurde nécessité de leur fantasme d’immortalité génétique.