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Temps

Stephen Baxter ( Auteur), Roland C. Wagner (Traducteur), Sylvie Denis (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 28/02/07  -  Livre
ISBN : 2265083622
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Christian   - le 31/10/2017

Temps

Ayant failli participer lui-même à l'aventure spatiale (station Mir), Stephen Baxter, devenu célèbre auteur de hard SF, a d'abord situé ses rêves de conquête spatiale dans un futur proche (Titan, Voyage, Poussière de lune). Puis, par un revirement singulier de perspective, son spectre temporel s'est élargi : des dinosaures à 500 millions d'années après J.C. dans Evolution, puis de l'Empire Romain à des futurs lointains dans Les enfants de la destinée.

Avec Temps, premier tome des Univers Multiples, ces  sauts de puce apparaissent comme des exercices d'école. Partant d'un futur très proche, l'auteur nous fait parcourir quelques milliards d'années... et au-delà.

Vous avez rêvé, un jour, de voyager sans contrainte temporelle dans l’univers ?

Stephen Baxter propose plus fort : voyager instantanément dans une enfilade d’univers. Là où le temps se déroule autrement. Au point qu'on en viendrait à décliner le temps du titre au pluriel.


Escapade à travers les univers

Le voyage est offert, au prix fort, à un astronaute raté, mais aventurier spatial génial, Reid Malenfant. Craignant une catastrophe prochaine pour l’humanité (syndrome de Carter), il veut accélérer l’expansion de l’homme dans l’espace. En envoyant sur un astéroïde des calmars modifiés génétiquement pour réfléchir, miner  et communiquer, il prend de court les communautés scientifiques et politiques américaines, peu versées dans la conquête spatiale. Et là, c’est la découverte du millénaire (2011, odyssée de l’espace) : l’anneau à sauter pieds joints dans le futur. Si on ajoute à cette découverte, le comportement étrange d’enfants bleus et les messages abscons reçus via les ondes de Feynman, pas de doute : le futur essaie de donner un coup de pouce à l’humanité.

La course accélérée du temps

L’entreprise était ambitieuse. Elle est globalement concluante. Laborieusement mis en musique sur 540 pages, avec force digressions ou thèmes à peine explorés, le tout parvient tout de même à nous tenir en haleine. Rapporté au temps parcouru, le temps de lecture apparaît, d'ailleurs, saugrenu. Le grand tour de force de Baxter, c’est la visite peu touristique et presque instantanée d’univers possibles : la plus longue course poursuite de la fiction mondiale. On applaudit des demains. Cette virée dans le futur est prodigieuse. Titanesque. Elle vaut le détour et elle garantit, à elle seule, une belle postérité à « Temps ».

Stephen Baxter n’est pas avare de phrases pour nous convaincre de la vraisemblance des technologies mises en œuvre (manipulation génétique des céphalopodes, contrôle des pépites de quark, effondrement du vide, exploitation minière des astéroïdes, radio de Feynman, etc.). C’est aussi une des qualités de l’ouvrage. Des innovations. Des descriptions réalistes (cf. « On a marché sur Cruithne »), des argumentations « crédibles ». On y croit volontiers. La hard science n’est pas à la portée de tous les auteurs, mais Baxter en est assurément un des maîtres.

Sur le plan technologique, le maître s’est copieusement inspiré des ouvrages futurologistes de John Leslie (Universes, The end of the world) – ni l’ex-star du porno américain atteint d’Alzheimer, ni l’inventeur écossais du thermomètre différentiel. On s’attardera peu sur l’hypothèse de Brandon Carter (« la catastrophe de Carter » décrite par Baxter), dont les fondements probabilistes frisent l’imposture (et dont Baxter, lui-même, dénonce les insuffisances, comme pour se dédouaner),  mais qui justifie bizarrement une panique mondiale et la fuite en avant du héros dans l’espace. On s’interrogera plutôt sur la crédibilité du mode de communication vers le passé d’êtres projetés subitement dans le futur (retransmission télévisée du futur). Sur l’évolution fulgurante de l’intelligence des calmars. Sur les durées de mise au point des engins de transport spatial. Sur le retour au passé du héros. Mais les clés nous seront peut-être données dans le prochain tome.

Sur le plan scénaristique, on aurait aimé en savoir plus sur les réactions de la population à une catastrophe, sur le destin des calmars, sur celui des enfants bleus et on aurait aimé plus de cohésion entre tous ces événements.

S’il est un maître incontesté de la hard science, Baxter n’est malheureusement pas (encore) un grand maître de la narration. Ce n’est pas un grand conteur. Ses meilleurs passages concernent des descriptions naturalistes, des séquences d’action ou des ratiocinations intérieures. La palette des personnages est variée. Chacun a sa personnalité. Des relations plus ou moins complexes se nouent entre eux, mais il manque un souffle de vie aux héros, du liant et une véritable respiration littéraire. Il s’agit plus d’individualités juxtaposées, d’intelligences abstraites parallèles,  ruminant à l’envi sur leurs congénères – à l’exemple de l’amour peu passionné et peu passionnant entre Reid Malenfant et son ex. Illustration de ce monocentrisme : chaque chapitre porte le nom de son protagoniste. Le réalisme et la force des relations se renforcent souvent dans l’action. 

Auteur visionnaire, spontanément tourné vers l’universel, Stephen Baxter sacrifie aux coutumes américaines du genre (volontés individuelles supérieures à la volonté collective, points de vue narcissiques aseptisés, technophilie, style journalistique)  pour nous conduire, avec une accélération constante, vers une vision macroscopique de notre galaxie, de notre univers et de notre famille évolutive d’univers (théorie de Lee Smolin). Au fond, les personnages sont peut-être fantoches, les intrigues subsidiaires. Juste un effet d’inertie temporelle qui donne son vrai rythme aux ultimes sauts temporels dans le futur.

La barre est haut placée. On sort grandi (et presque rajeuni) de ce premier tome des univers multiples. Si l’on s’en tient aux grandes circonvolutions de « Temps », l’inspiration de Baxter est géniale. Et si elle lui était venue du futur ?

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