Christian
- le 31/10/2017
Les Marais du Temps
Pour les éditions Dupuis et le magazine Spirou, le célèbre groom a besoin d’exister indépendamment de ses dessinateurs attitrés (Rob-Vel, Jijé, Chaland, Franquin, Fournier, Nick, Janry, Morvan : c’est encore plus vrai depuis la brouille de Morvan et Munuera avec Dupuis, révélée lors du festival d’Angoulême 2007). D’où l’idée d’aller au-delà des séries dérivées (Le petit Spirou, Le Marsupilami) et de créer une collection spéciale « Une aventure de Spirou et Fantasio par ». Le premier numéro, « Les géants pétrifiés » était signé Yoann et Vehlmann, le second « Les marais du temps » est signé Franck Le Gall.
Ce faisant, Dupuis s’expose au risque d’une divergence graphique et scénaristique entre la série officielle et la série parallèle. Auprès d’un public jeune, l’identité graphique est emblématique. Varier les styles brouille les signes de reconnaissance. Quant aux moins jeunes, qui ont vibré aux premiers albums de Spirou, les évolutions graphiques relèvent plutôt de la trahison.
Cette collection sur Spirou, plus adulte et plus longue (52 pages), est-elle une réussite ? Dans l’ensemble, les scénarios sont corrects, le dernier album se tient, mais le tout respire la contrainte de genre. Frank Le Gall est plus convaincant sur Théodore Poussin ou Submerman. Ici, il ne peut pas tirer parti de son penchant pour la narration littéraire et, malgré l’immersion dans l’univers d’Eugène Sue, on ne retrouve pas son ton personnel nostalgique et doucement amer.
Il est difficile de croire à un Spirou « conceptuel » qui transcenderait ses représentations graphiques et ses types d’aventure. Quant au Spirou « pluriel », c’est un Spirou éclaté qui perd de la force et déroute ses lecteurs. Il faudrait de la continuité quitte à réduire le nombre d’albums. De ce point de vue, l’autre grand héros belge, Tintin, qui n’aurait pas été trahi par Bob de Moor s’il avait poursuivi l’aventure, s’en sort mieux.
Enfermés dehors un siècle et demi avant
Transmis par quatre générations de patrons de bar, un message de Zorglub parvient au Comte de Champignac : il est enfermé dans le Paris de 1865 et a besoin d’aide pour revenir au présent. Profitant des propriétés spatio-temporelles des obélisques et de la machine à remonter le temps mise au point par Zorglub, le Comte, Spirou et Fantasio rejoignent leur ancien ennemi. Mais après une maladresse de Spip, les voici coincés à leur tour dans le passé.
Spip se rachète en s'assurant le concours inespéré d'un petit génie du clavier. Celui-ci va permettre à nos héros d’échapper à une bande de truands roulés par Zorglub et de revenir dans leur siècle favori. Spirou manque de rester sur place. Heureusement, Pacôme est un grand génie des champignons…
Exotisme historique et sémantique
Truffé de clins d’œil à la série officielle (le dinosaure du mésozoïque, Zorglub et sa zorglonde, les amis de Champignac), le scénario est plutôt original. L’ambiance bas-fonds des « Mystères de Paris » donne une tonalité inhabituelle à la série. Les héros (Spirou, Fantasio, Pacôme, Zorglub) sont plutôt passifs. Les vrais acteurs de l’histoire, ceux qui orchestrent les rebondissements et trouvent les solutions sont les personnages périphériques (patron de taverne, malfrats, jeune prodige, voire Spip). Le récit ne s’embarrasse pas de vraisemblances. Les paradoxes temporels sont généreusement écartés au nom des mondes parallèles (mais pourquoi reste-t-on justement dans ce monde-là et pas un autre ?). Ce Paris d’avant la Commune est un prétexte à dialogues fleuris, l’une des réussites de l’ouvrage. Frank Le Gall s’est amusé. Avec glossaire en fin d’album à l’appui. A vrai dire, le scénario vaut surtout pour son exotisme historique et sémantique.
D’une certaine manière, l’auteur est plus respectueux des canons du Spirou classique que Yoann ou Morvan. Son Fantasio est proche de celui de Jijé et Chaland, tandis que les savants sont plus proches de Franquin. Spip est démesurément grand. Fantasio et Spirou se sont allongés, ils ont pris des épaules. La figure de Spirou est arrondie, celle de Fantasio est plus ovale, le nez placé aléatoirement au milieu de la figure. Spirou a perdu ses belles mèches. On peut regretter aussi que le coup de crayon élégant de Le Gall reste centré sur les personnages : l’action se déroulant surtout en sous-sol, il nous laisse peu d’occasions d’apprécier des décors parisiens pourtant réussis. Dommage. La couverture était prometteuse.
Cadrage classique, dans un format plus large que la série originale. La plupart des scènes se déroulent en sous-sol, la nuit ou dans la grisaille parisienne. Les couleurs sont donc moins vives que ne le laisse croire la couverture. Couleurs sombres prédominantes, avec priorité aux mélanges : verts passés, violets, gris, marrons et noirs. Là aussi, on s’éloigne des canons.
Un bon album sur le plan graphique. Un scénario peu robuste, mais des dialogues convaincants.
A noter, pour les amateurs, les petits clins d’œil à d’autres héros (Tintin, Marsupilami, Tif et Tondu, Obélix et Théodore Poussin).