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Modus operandi

Olivier Fontvieille (Illustrateur de couverture), Marin Ledun ( Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 05/04/07  -  Livre
ISBN : 2846261377
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Lavadou   - le 31/10/2017

Modus operandi

Marin Ledun est né en 1975. Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, il s’intéresse notamment à l’intervention des technologies d’information et de communication en politique et publie un essai sur le sujet, La Démocratie assistée par ordinateur. Marin Ledun vit à Grenoble, où il situe l’action de son premier roman, Modus operandi, un polar urbain à peine teinté de fantastique.

Une enquête dans les vapeurs de l’alcool

Eric Darrieux est inspecteur de police à Grenoble. Alcoolique notoire, il est chargé de l’enquête sur la disparition de deux adolescents à deux jours d’intervalle. Son supérieur, le commissaire Rosa, clame haut et fort, en particulier devant la presse, qu’il s’agit de fugues. Mais Darrieux penche plutôt pour un enlèvement et oriente son enquête en ce sens, bien qu’il soit le seul à y croire. Alors que l’alcool l’enfonce encore plus dans la mélancolie et la colère, il va remuer la mémoire du quartier où se sont produites les disparitions, quartier dans lequel il a lui-même grandi.

Un polar très noir

« Cette ville pue la mort ». Ainsi commence Modus operandi. Marin Ledun donne immédiatement le ton de son roman, et les premières descriptions de Grenoble nous font ressentir, à l’aide de métaphores assez bien trouvées, toute la noirceur et la crasse, aussi bien physique (pollution) que psychique (atmosphère de mort), qui semblent habiter cette cité. Un cadre idéal pour l’histoire que l’auteur nous raconte : une histoire cruelle et sans concession de séquestration d’enfant, qui dépasse parfois les limites du supportable, et qui explore très profondément la malfaisance et la perversité de l’âme humaine. Ledun parvient très bien à coucher sur le papier ce mal horrible et la détresse qu’il provoque chez ses victimes. Un mal qui ne se manifeste pas seulement à travers cet enlèvement, mais également à travers l’addiction de Darrieux à l’alcool : la personnalité de l’inspecteur et ses dialogues sonnent terriblement justes, et la description de son état maladif est tellement précise et crédible qu’on en est forcément touché. Ainsi, le lecteur est plongé en permanence dans un environnement malsain, lourd à porter, et qui peut assez rapidement devenir rebutant si l’on n’entre pas dans le jeu de l’auteur. Et si l’on y entre, c’est la déprime qui guette… Ledun va parfois si loin dans l’auto apitoiement, qu’il a, par moment, du mal à convaincre. Mais globalement l’immersion dans cette ambiance très sombre est réussie.

Une intrigue qui met du temps à s’installer

La quatrième de couverture affirme que le roman « allie suspense et critique sociale ». Le suspense manque pourtant d’efficacité en raison d’une intrigue qui met du temps à s’installer. Disons qu’il faut aller jusqu’au bout du roman pour en apprécier la subtilité, mais avant cela le lecteur aura dû passer par des moments de perplexité et parfois d’ennui. Perplexité lorsque les seuls ressorts de l’intrigue sont des indics ou des interrogatoires qui tombent miraculeusement au bon moment. Ennui car Darrieux se pose beaucoup de questions existentielles mais sa réflexion sur l’enquête est assez peu développée. Au point que l’on a parfois l’impression que son déroulement est artificiel. Mais tout ceci procède d’une logique interne qui ne se dévoilera que sur la fin. Le dernier tiers du roman est véritablement prenant. Non seulement l’enquête s’accélère enfin, mais le discours très noir de l’auteur prend une nouvelle dimension, et le ton un peu geignard employé depuis le début du livre trouve sa justification.

En revanche, côté critique sociale, Marin Ledun est nettement moins convaincant. Il est vrai qu’il cherche à glisser quelques phrases ironiques sur les dérèglements de notre société, et y parvient parfois, notamment lorsqu’il parle de la presse à sensation et du voyeurisme populaire  : « Plus c’est glauque, moins c’est blanc, plus ça se vend ». Mais le plus souvent, c’est fait par petites touches à peine approfondies, avec des formules à la mode et plutôt banales, rendant les tentatives de l’auteur superficielles.

Quelques maladresses sur la forme

Du point de vue de la forme, Modus operandi souffre avant tout d’un certain nombre de maladresses qui n’auraient pas dû passer le filtre de la relecture chez l’éditeur. La plus flagrante est le changement de nom d’un personnage, qui s’appelle tantôt Mélanie, tantôt Julie. Le roman est ainsi parsemé de petites erreurs (« Tu savais déjà que tu étais déjà allé trop loin »), de formules un peu bancales (« Une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries, un répondeur. Pas de message. Il recompose le numéro une deuxième fois, et refuse cette fois de laisser un message »), voire involontairement comiques (« Il claque la portière, déniche l’ascenseur dans le hall de l’immeuble et trouve la force de se propulser jusqu’au sixième étage »).

Ces défauts perturbent l’entrée du lecteur dans l’univers cotonneux de Darrieux. Ledun cherche à provoquer cette immersion par l’utilisation du présent et de phrases courtes – parfois même nominales. L’ensemble donne une impression de temps ralenti, haché, comme si le lecteur subissait la difficulté de Darrieux à aligner des pensées cohérentes. Globalement l’effet est réussi, mais souvent l’auteur utilise des ellipses qui rompent de façon inadéquate la continuité du récit, laissant un goût d’inachevé à certains moments-clés.

Enfin, Ledun alterne trois points de vue narratifs : celui de Darrieux à la troisième personne, celui de l’enfant kidnappé à la première personne, et celui du ravisseur à la deuxième personne. Cet effet est assez troublant au départ, on ne sait pas trop où l’auteur veut en venir : il nous place dans la peau de l’enfant mais hésite à le faire pour le kidnappeur. Peur d’indisposer le lecteur ? Peu probable, car malgré cette distanciation Ledun va très loin dans la description de la névrose du criminel, donnant d’ailleurs lieu, sur la fin, au meilleur chapitre du roman. Ce changement de point de vue, pas vraiment inapproprié, laisse quand même légèrement dubitatif.

Un polar qui se mérite

Au final, Modus operandi laisse une impression mitigée. On sent que l’auteur y a mis ses tripes. Le sujet qu’il a choisi n’était pas facile à aborder et il s’en sort plutôt bien avec une fin à la hauteur de ses ambitions, ce qui n’est pas si mal pour un premier roman. Mais il aura fallu supporter quelques défauts formels et deux premiers tiers introspectifs assez ennuyeux. Les amateurs de polars crasseux y trouveront peut-être leur compte, mais Modus operandi risque d’en décourager plus d’un. A noter que l’aspect fantastique du roman est trop ténu pour que le livre appartienne véritablement au genre.

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