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Le Peuple de la mer

Patrick Marcel (Traducteur), Thomas Burnett Swann ( Auteur), Gustave Doré (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/05/07  -  Livre
ISBN : 9782757802342
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Christian   - le 31/10/2017

Le Peuple de la mer

Voici le deuxième volet de la trilogie d’Enée et de la Fondation de Rome, le Cycle du Latium, par le grand conteur du mythe antique qu’est Thomas Burnett Swann. Chronologiquement, il devrait se situer en première position puisqu’il traite du voyage d’Enée vers le Latium, avant son arrivée dans Le Phénix vert et la fondation de Rome dans La Dame des abeilles. Ce livre étant un livre posthume, publié en 1977 après les deux autres et non corrigé par l’auteur, Points Fantasy a préféré l’éditer en deuxième position dans le tryptique (la place centrale).

Ce volet correspond au premier et au quatrième des douze chants de l’Enéide, cette fameuse épopée en hexamètres dactyliques que Virgile a conçue comme l’Iliade et l’Odyssée romaines. Virgile a détourné l’épopée grecque en inversant les rôles. Les Troyens rescapés et leurs dieux protecteurs (Aphrodite, Poséidon) deviennent les vedettes. La civilisation romaine (longtemps opposée par les armes à la civilisation grecque) est née de la fuite d’Enée qui fonda la ville d’Albe d’où sont issus Romulus et Remus. Thomas Burnett Swann détourne, quant à lui, l’Enéide, l’enchante, transforme certains personnages historiques en animaux fabuleux (triton, éléphant, néréide), mêle dieux grecs et créatures féériques pour une épopée placée non plus sous le sceau du mythe historique mais sous le signe de l’amour.

Ce roman parut un an après la disparition de l’auteur sous le titre de Queens walk in the dusk. Cette nouvelle édition rétablit le titre d’origine : Le Peuple de la mer (People of the sea). Ce peuple, c’est bien entendu celui des Phéniciens de Tyr et de la reine Didon, fondatrice de Carthage, mais c’est aussi un peu, par la force des choses, ces Troyens égarés après la chute de leur ville et partis fonder une nouvelle Troie. Ces deux peuples, qui s’opposeront sauvagement bien plus tard pour le contrôle de la mer lors des guerres puniques, se rencontrent, sont prêts à n’en fonder qu’un, tant Enée et Didon souhaitent unir leur destin, mais les dieux en ont décidé autrement.

Escale voluptueuse à Carthage

Didon de Tyr, sœur du roi phénicien, ne veut pas être mariée à son oncle Melqart. Quand son frère Pygmalion fait tuer Glaucus, le jeune marin qu’elle aime, elle promet de partir (« partyr ») et de fonder un nouvel empire. C’est ainsi que Carthage est née.

Enée, le rescapé troyen, et son fils Ascagne échouent sur une plage près de Carthage. Ils y font la rencontre du roi éléphant Iarbas, partenaire de Didon, mais défiant vis-à-vis des humains chasseurs d’ivoire. Ascagne peut communiquer avec certains animaux, il saura l’amadouer. Tandis que la flotte troyenne éparpillée par la tempête les rejoint peu à peu, les deux naufragés sont recueillis par la reine de Carthage. Seuls et totalement voués à leur fuite et leur mission colonisatrice, Enée et Didon tombent amoureux l’un de l’autre, poussés par Ascagne qui souhaite forcer le destin et s’établir à Carthage.

Mais Electra, la mère néréide de Didon, et Iarbas, l’éléphant jaloux, ne voient pas cette union d’un bon œil. Les humains sont menacés. Dans un ultime sacrifice, Didon sauvera Carthage et permettra aux Troyens de s’enfuir pour mener à bien leur voyage vers le Latium.

Le peuple de l’amour

Le ton est plutôt différent du premier tome, marqué par la révolution sensuelle de 68 et proche de l’univers libertin de Sa Majesté Minor (le film de Jean-Jacques Annaud). Thomas Burnett Swann colle davantage au mythe historique et s’attache à décrire l’amour sous toutes ses formes : l’éclosion de l’hymen entre Enée et Didon, l’éveil des sens pour le fils d’Enée, Ascagne, la découverte de la sexualité par la sœur de Didon, Anna, l’amour platonique (homosexuel) d’Achate et l’amour filial/paternel entre les deux héros Troyens. Du côté obscur de l’amour, la jalousie, la haine passionnelle, la sécheresse affective de la part d’êtres plus frustres (le roi des éléphants, la Néréide) sont aussi au rendez-vous.

Les personnages principaux sont beaux, bons, nobles, sereins, attachants. Ils sont aimés de tous, ils ont tout pour plaire, ils semblent faits pour vivre ensemble dans le meilleur des mondes. Même dans leur séparation, ce déchirement qui ira jusqu’au sacrifice de la reine, ils resteront paisibles et généreux. Leur amour charnel est encouragé par le fils d’Enée, par la sœur de Didon et par les deux peuples. Aucun sentiment de culpabilité. La culpabilité est extériorisée, personnifiée par le roi-éléphant jaloux (les forces de la terre) ou la mère sans cœur (les forces de la mer). Elle est acceptée sans rancœur. Le destin est plus fort que tout, mais il n’est pas vécu comme une tragédie.

Du coup, il se dégage du livre, malgré les amours contrariées, une sensation d’apaisement, de quiétude et d’optimisme, renforcée par les descriptions bucoliques, les évocations sensuelles et la patte poétique inimitable de l’auteur.

Thomas Burnett Swann n’a pu apporter de correction finale à son texte. Certaines petites imprécisions ont été corrigées par le traducteur Patrick Marcel, à créditer d’un excellent travail, d’autres sont un peu plus troublantes (la terreur de Didon et le départ précipité des Troyens auraient mérité d’être justifiés plus explicitement, la double promesse de mariage faite par Enée à Ascagne). Mais cela ne retire rien des qualités littéraires et oniriques de cet ouvrage de moins de 200 pages qui se goûte avec délice, tel un poème épique au temps des aèdes et de leur phorminx.

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