Christian
- le 31/10/2017
Sur la piste du crime
Voici donc, aussi attendu que le premier, le deuxième album de l’Intégrale de Tif et Tondu (16 recueils au rythme de 2 par an). Nous passons cette fois-ci allègrement des n° 4,5,6 du premier volume aux n° 16,17,18 de la série publiée chez Dupuis dans les années 70-80. Ces 3 aventures policières et semi-fantastiques comptent parmi les meilleures Tif et Tondu qui aient été publiées dans le magazine Spirou. Et pour fidéliser la clientèle qui ne connaîtrait pas les équipées du sagace hirsute et du glabre cocasse, il est sans doute judicieux de les captiver avec de bons crus dès le deuxième recueil.
Pourquoi meilleurs ? Parce que, cette fois, c’est Maurice Tillieux le marionnettiste. C’est le scénariste-dessinateur de Gil Jourdan qui tire les ficelles de l’histoire. Et Will, le dessinateur emblématique de l’époque, collaborateur de Jijé et de Franquin, designer des dites marionnettes, est totalement maître de son sujet graphique.
Si le scénariste mythique de la série, Rosy, privilégiait le fantastique et l’ambiance ennemi public n°1 avec Monsieur Choc (cf. Le diabolique M. Choc), Tillieux donne un premier coup de réalisme à la série (il y en aura un autre, moins original, en fin de série avec Lapière). Grand amateur de polars et de dialogues cinglants, il insuffle un esprit Félix et Gil Jourdan dans la série, qui la rend moins féérique, mais plus intelligente et plus captivante. Pressé par le temps (Tillieux collabore alors à de nombreuses séries), il utilisera même un très bon scénario de Félix (« Le phare de la mort », réédité en 2002 dans l’Intégrale Félix tome 7, 1955-1956) pour la troisième histoire de ce recueil.
Sur trois pistes du crime
Au programme, Dupuis nous propose, en effet, trois histoires aux atmosphères bien distinctes qui nous font découvrir deux personnages récurrents : l’inspecteur Ficshusset (sic !) et la comtesse Amélie d’Yeu, dite Kiki.
Dans « L’ombre sans corps », Tif et Tondu rendent visite à cette vieille connaissance de Scotland Yard qu’est Ficshusset, juste au moment où les quais de Londres sont la proie d’une bête aussi furieuse qu’invisible.
« Tif et Tondu contre le cobra » n’est pas plus rassurant. Nos deux compères devront faire face à l’apparition intempestive d’une salamandre à deux pattes dans un vieux manoir et à d’inexplicables déplacements dans l’espace et le temps. Les quatre pieds sur terre, nos deux détectives finiront par avoir raison de ces illusions manipulatrices.
Enfin, le troisième récit, « Le roc maudit », commence à Londres comme le premier, mais il est rapidement détourné vers les côtes normandes, où les gardiens d’un phare maudit sont victimes d’une épidémie de suicides. Rassurez-vous, le courage et la sagacité de Tondu viendront à bout de la malédiction neurasthénique.
Un recueil hétérogène
Trois bonnes histoires de Tif et Tondu. Une tonalité fantastique dérivée d’expériences scientifiques ou de la malveillance de grands manipulateurs. Pour Tillieux, la rationalité finit toujours par triompher. Le merveilleux n’est qu’un égarement. C’est parce que les deux héros, et notamment Tondu, n’ont pas froid aux yeux, parce qu’ils ne croient pas au mauvais sort ou au surnaturel qu’ils finissent par découvrir le pot aux roses et triompher de la fine fleur du grand banditisme. On s’écarte des savants fous, des inventions et des technologies délirantes courantes dans d’autres albums.
Les méchants sont le plus souvent intelligents et toujours cyniques. Lucides, désabusés dans un monde désenchanté, Tif et Tondu traquent la volonté de nuire ou les intérêts égoïstes avec les mêmes armes que leurs adversaires : l’intellect et un humour souvent noir. De temps en temps, Tillieux se lâche et consent à quelques jeux de mots ou quelques gags de potache, notamment dans la première aventure, la moins Tillieuse des trois. Mais c’est pour mieux prendre sa distance avec un monde qui demeure sans pitié.
L’intrigue est toujours bien menée. Tillieux s’attache à surprendre. Dans le deuxième album, l’apparition immédiate des salamandres/cobras qui vient rompre le mystère est inattendue. Dans la troisième aventure, on s’attend à un dénouement à la dix petits nègres…
Quant au dessin de Will, il est moins fragile, plus assuré que sur les premiers albums. Les personnages sont moins rigides. Les véhicules en mouvement sont toujours aussi remarquablement rendus. L’allure juvénile du trait adoucit, d’une certaine manière, la tendance polar cynique du scénario et la rend accessible aux enfants et adolescents. Un peu comme si des dialogues d’Audiard sortaient de la bouche du petit Spirou.
Un bon petit dossier sur Will et sur la transition Rosy /Tillieux agrémente le recueil, ainsi qu’un récit de 4 pages, inédit en album : « A 33 pas du mystère » paru pour le 33ème anniversaire du journal Spirou.
Au bout du compte, on peut cependant regretter le maintien d’un semblant de logique chronologique (n° 16, 17 et 18) alors que le parti pris global de l’Intégrale privilégie l’approche thématique. Il eût été plus pertinent de présenter, par exemple, des aventures se déroulant effectivement en Angleterre, des aventures se déroulant dans l’eau ou les profondeurs, des aventures donnant la part belle à la comtesse Kiki. Cela aurait eu l’avantage d’assembler des atmosphères plus cohérentes que la juxtaposition d’un conte policier fantastique, de l'affaire du gang des illusionnistes et d’une ambiance « phare de l’angoisse ».