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La Mécanique du cœur

Joann Sfar (Illustrateur de couverture), Mathias Malzieu ( Auteur), Karim Friha (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/07  -  Livre
ISBN : 978281208162
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Eric   - le 31/10/2017

La Mécanique du cœur

Il y a un peu plus de deux ans, le bouillant chanteur de Dionysos nous avait étonné avec la très belle humanité de Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi, son premier livre. Roman d'exorcisme écrit peu après la mort de sa mère, il s'y était exposé en grand, évitant les écueils du voyeurisme avec une extrême pudeur. L'écrivain s'était fait jour, et non plus l'habile ferronnier du verbe, qui tire et tord pour faire rentrer son monde dans les trois minutes trente standards d'un air de pop. On avait découvert un auteur, capable de s'aventurer plus loin, sans la confortable protection de la musique.

Logiquement, son deuxième roman devait s'affranchir de ces béquilles autobiographiques. C'est chose (presque) faite.

Highway to Elle

Little Jack vient au monde à Edimbourg, en 1875, par la nuit la plus froide du monde. Sa mère est l'une de ces filles de joie tristes, que la providence et les premières douleurs de l'accouchement ont conduit au seuil de l'hôpital du Docteur Madeleine.

C'est heureux, car au dehors, les chats gèlent debout. Les hommes aussi, du reste. La jeune femme est arrivée à temps, dans ce hâvre pour laissés pour compte, refuge des putes et des paumés, trop pauvres pour se payer les soins d'un vrai docteur. Ils viennent alors s'en remettre aux bricolages improbables de la vieille Madeleine. Et c'est par cette nuit la plus froide du monde qu'elle est amenée à faire le plus improbable de tous. Pour supplanter au cœur gelé du petit Jack, elle va extirper de son bric-à-brac un vieux coucou, qu'elle va lui greffer dans la poitrine.

Abandonné par sa mère, le petit garçon va grandir dans l'étrange maison, entouré d'un amour protecteur. La vieille Madeleine veillera à le préserver de toute émotion forte, et en particulier de l'amour, et des effets destructeurs qu'il pourrait avoir sur son cœur tictaquant.

Jusqu'au jour de ses dix ans. Autorisé à sortir pour la première fois en ville, il va croiser la route d'une maladroite petite chanteuse des rues, qui se cogne partout. La mécanique de son coucou va s'emballer pour de bon. Little Jack ne vivra plus dès lors que pour retrouver son petit rossignol myope.

Jolie bluette

L'univers de Mathias Malzieu est familier de quiconque s'intéresse, même vaguement, à sa musique. Très inspiré par Tim Burton, on trouve chez lui les mêmes lambeaux d'enfance. Un mélange de cruauté et de poésie, qu'on décèle facilement dans l'ambiance qu'il tisse dès les premières pages. Trop facilement peut-être, tellement ses influences sont évidentes et parasitent un peu son propre imaginaire. On est, du coup, moins enclin à lui pardonner ces images bizarrement anachroniques qu'il utilise parfois. Comme lorsqu'il nous dit que Jack est "heureux comme un footballer qui vient de marquer en finale de coupe du monde", ou qu'il nous décrit l'une des habituées de l'hôpital du Dr Madeleine comme un sosie de Dalida. Choix malheureux dans ce Edimbourg onirique de la fin du XIXème siècle, et qu'une édition plus drastique n'aurait pas dû laisser passer.

Et de fait, on aura bien du mal à ne pas se dire que chez Flammarion on s'est contenté d'éditer le chanteur de Dionysos – et que "ça fera bien 20 000 ex." – plutôt que de chercher à avoir plus. Car si doué soit-il, Mathias Malzieu, par sa seule plume, ne sauvera pas son roman d'une inconsistance regrettable.

Le rythme plus elliptique que trépidant de son intrigue, de même que les facilités stylistiques derrière lesquelles il se cache, finissent pas laisser l'impression désagréable d'un défaut d'engagement. La Mécanique du cœur n'est certes pas un mauvais roman, il est simplement anodin. Aussi inoffensif qu'une bluette qu'on aurait étirée sur cent quatre-vingt pages, baignant dans un amour sans conséquence et très adolescent. Alors bien-sûr, on pourrait s'en foutre, et ça serait certainement le cas si, derrière la gratuité un peu agaçante de la démarche, on ne sentait pas affleurer un authentique écrivain. À plusieurs reprises, au cours de la lecture, on est à deux doigts de voir partir une véritable intrigue, un vrai propos. On est en attente de l'affranchissement total des servilités burtonienne. On croise plusieurs embranchements qui, on le sait, déboucheraient sur un livre autrement plus intéressant. Mais à chaque fois, Mathias Malzieu prend bien soin de ne pas s'y aventuter. Consciencieusement, il évite de se mettre en danger. Préfère rester dans le champ gentiment balisé d'un univers, certes personnel, mais qui ne nous étonne plus.

Il choisit donc de rester la possibilité d'un auteur, plutôt que de se confronter à lui-même. Profitant de son indéniable aisance de plume, et jouant de manière un peu convenue avec ses trucs de parolier, il bâcle (même si c'est avec un certain brio) cette amourette qui laisse le lecteur de Voici en terrain familier, et permettra au fan de Dionysos de barboter dans la tiédeur amniotique du petit bassin du groupe. Rompant le combat avant de l'engager, Mathias Malzieu devra, si il veut convaincre, choisir de se colleter sérieusement avec son travail d'écriture. Il a le talent pour ça. L'envie, on verra...

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