Le Futuriste
Avis de tempête à l’orée du vingtième siècle
France, 1912. A la veille de la première guerre mondiale, plan large sur un paysage typique de la campagne française. Une jeune femme s’y promène avec son père. A travers ces deux personnages, deux mondes se confrontent : la jeunesse urbaine et la terre agricole des anciens. La jeune femme, « montée à la capitale » a délaissé la province familiale et son avenir tout tracé de paysanne à fichu pour devenir secrétaire. C’est à travers son regard inquiet, entre deux univers, que l’on découvre Luciano, le jeune peintre prometteur qui partage sa vie. A Paris, Luciano côtoie Apollinaire, Tristan Tzara, passe ses soirées avec eux à écumer les bars en méditant sur le rôle de l’art en ce début de siècle. Partie prenante de cette nouvelle garde artistique mais toujours sans le sou, le peintre accepte un bien énigmatique travail de commande pour lequel il est amené à utiliser son art pour imaginer des machines de guerres révolutionnaires…
Qu’est ce que les temps modernes ?
La thématique centrale de cette œuvre est celle de la rupture. Tout, ici invite à une réflexion sur le passage d’un monde à l’autre, et ce à plusieurs niveaux : passage du monde paysan à l’avènement de la ville, passage de l’art figuratif à l’abstraction, évolution du statut de la femme, tout les thèmes sont alignés mais soumis à la rupture finale (et fatale) : la première guerre mondiale. Olivier Cotte et Jules Stromboni portent un regard très pessimiste sur le souffle, l’effervescence révolutionnaire que l’on associe au début du 20ème siècle. Le scénario décoche une flèche carabinée sur le prétendu pouvoir de l’art, à travers un retournement surprenant, aussi intelligent que vertigineux. L’invitation à la relecture de l’Histoire initiée par l’intervention du fantastique fonctionne correctement, le lecteur se retrouve ainsi, selon les règles du genre, dans la position du profane à qui l’on vient révéler les arcanes de l’Histoire.
Evidement, les auteurs jouent sur la très à la mode théorie du complot et ce sentiment ténu que peut ressentir le lecteur lorsqu’il parcourt les pages finales : celui d’un flou absolu sur sa perception de la réalité et la remise en question de tout un enseignement, de toute une construction d’informations.
On regrettera cependant que la vaste panoplie des questions, thématiques abordées soit inévitablement soumise, à l’échelle d’une BD, à un traitement rapide : traiter du pouvoir de l’art, du passage des anciens aux modernes et de la manipulation occulte de l’Histoire (entre autres) est peut être un menu trop copieux pour une cinquantaine de pages…
Très belle qualité artistique du dessin
Alors que retenir de cette BD ? Au-delà du tour scénaristique plutôt réussi et du plaisir corollaire – et non boudé- de se laisser mener par le bout du nez, la qualité du dessin reste la raison capitale de se laisser entraîner dans la lecture du Futuriste. Le parcours du personnage de Luciano permet à Stromboni de déployer une large gamme de talents : des vues de la cité à l’art de portraitiste en passant par le dessin érotique et le dessin technique (ces deux derniers se trouvant associés dans une série de planches très réussies) ou encore la reproduction à la vraisemblance saisissante de photogrammes issus d’images d’archives de la première guerre mondiale, tout concourt à créer une œuvre à la haute qualité artistique. Clin d’œil paradoxal pour un scénario dont l’idée directrice ne cesse d’en souligner la vanité.