Prime Time
Claude Bolduc, écrivain québécois d’horreur, fait son bonhomme de chemin. Avec ce petit roman, écrit à quatre mains avec Serena Gentilhomme, il livre un conte philosophique et horrifique sur la télé réalité et ses nouveaux avatars, toujours plus extrêmes. L’exercice est réussi pour ce jeune auteur, prix Boréal 2007, qui n’a sans doute pas fini de monter en puissance. Signalons également qu’il s’agit d'un des premiers romans de la nouvelle collection SF d’Interkeltia.
Deux ogres littéraires
Les deux personnages principaux, Lou et Bernie, sont d’atroces serial killers québécois qui ont cherché la condamnation à la chaise électrique de manière à achever dans un grand feu d’artifice leur sanglante carrière et à faire une publicité imparable à leurs mémoires posthumes. Hélas ! Au pays de Kurt Weisskampf, Président des Etats-Unis d’Amérique, et de son secrétaire d’Etat Fulvio Ronald Burrasconi, la télévision s’en mêle, et, sous la menace de voir leur peine de mort commuée en emprisonnement à vie, ils doivent accepter de participer à un talk show en prime time, puis à une émission de télé-réalité calquée sur « L’Île de la tentation ».
Jouissantes francopholies
Moqueries à l’égard des US, piques anti-religieuses, scatologie et pornographie, rien ne manque pour faire une sympathique satire rabelaisienne. Mais il y a plus, et c’est ça qui est bon. Car nos deux ogres sont des intellectuels sophistiqués et défenseurs rigoureux de la francophonie toujours menacée sur le continent nord américain. Le clash continuel entre leur français puriste et les dévoiements délirants que font subir à la langue tant les québécois que les français adeptes du franglais fait pleurer de rire et est une mine à citations cultes.
Une chose que l'Hexagone ne connaît pas
Il n’en reste pas moins que le sujet du livre est la téléréalité et les perversions qu'elle impose au comportement humain. En France, on n'a pas connu les dérives américaines ou italiennes en la matière. Les émissions de ce type ont trouvé leur place dans le paysage audiovisuel et le débat s'est tari. Le roman fonctionne donc comme une piqûre de rappel pour les adversaires de ces pratiques. Pour les autres, consommateurs ou indifférents, il devient difficile de comprendre la verve et l'énergie déployées dans ce texte.
Cette difficulté est accentuée par le manque de dynamisme en termes de narration, qui ne permet à aucun moment de se dire qu’on a affaire à un vrai roman et non à un simple conte. Les personnages sont très grossièrement esquissés, les dialogues prépondérants et parfois longuets, soutenus uniquement par les jeux de langage très amusants de Bolduc. Ces éléments, qui n’auraient pas été des problèmes dans un texte « à chaud », sur une question de société faisant débat, apparaissent avec acuité, justement parce que la télé-réalité n’est plus l’objet d’un débat de ce côté-ci de l’Atlantique.
Survivance québécoise
On pourrait du coup avoir tendance à penser que l'intérêt du livre, en définitive, c’est qu’il montre des Québécois en pleine agit-prop contre l’impérialisme de l’Anglais, des Etats-Unis et de leurs media networks, avec humour potache et fantaisie.