La Fille de l'Alchimiste
Kaï Meyer est connu des lecteurs français grâce aux traductions du début de son cycle des Funambules des mers ou de L'Histoire de Merle. Mais ces ouvrages en ont donné l'image d'un auteur jeunesse, impression mise à mal par la traduction de La Fille de l'alchimiste, ouvrage adulte traitant sérieusement de sujets graves et sombres.
La guerre des sorciers
La famille d'Aura est un peu étrange. Riches, ils vivent sur une île triste et grise comme une prison. Sa mère vit uniquement pour s'occuper de sa petite sœur et rêve d'avoir un garçon au point d'adopter coup sur coup deux adolescents. Son père s'enferme dans sa serre sur le toit du manoir et étudie l'alchimie, ne descendant que rarement. Et il vient de décider de l'envoyer dans un pensionnat pour jeune filles !
Mais ailleurs se dessine déjà la fin de ce ballet figé que jouent les habitants de l'île. Un tueur est en route, lancé par des gens qui en veulent à l'alchimiste, peut-être depuis plusieurs siècles ! Entre faux-semblants, trahison et amour, elle devra trouver une voie pour se construire.
Pour la jeune femme, ce sera une découverte peu à peu de la noirceur de l'âme humaine et des compromissions auxquelles on peut arriver pour survivre. Ce sera aussi un voyage à travers l'amour, ses tortures et ses plaisirs. Jusqu'à en savoir plus sur les secrets de l'immortalité.
Sombre Europe au XIXème siècle
Kaï Meyer nous a habitué à des écrits au scénario fouillé, traités d'une manière stricte et claire. Il ne déroge pas à sa technique pour cet ouvrage dont l'action se dessine d'une manière inexorable, entraînant ses personnages dans un destin écrit à l'encre rouge (sang) qu'ils ne peuvent éviter.
Par contre, même si ses romans précédents n'étaient jamais roses ni complètement joyeux, aucun d'eux n'a approché l'horreur glauque, la noirceur lancinante qui est le fondement de celui-ci. Résolument écrit pour un public adulte, il nous entraîne dans une Europe grise et froide, d'une tristesse profonde qui rappelle un peu les premiers livres d'Anne Rice. L'auteur arrive à insuffler une pesanteur à ses pages qui touche le lecteur et l'associe aux drames qui parsèment l'histoire.
Car, au-delà de l'aventure fantastique, de la quête de l'immortalité et de la chimère alchimiste, Meyer aborde des thèmes difficiles et délicats. Inceste et infanticide sont les fondements de ce livre. Toujours évoqués avec une pudeur et une retenue parfaitement maîtrisées, ils plombent encore un peu plus les pages mais leur donnent un relief qui sort ce livre de l'ordinaire.
Un conseil : ne lisez pas ce livre si vous avez besoin de vous remonter le moral ! Sinon, dévorez-le et délectez-vous des machinations souterraines des immortels, des affres amoureux des personnages et de cette peinture si sombre du XIXème siècle.