Premier roman pour Fabrice Bourland et début d'une série pour 10/18. L'auteur est aussi éditeur, puisqu'il dirige une collection de fantastique aux éditions Nestiveqnen. Le Fantôme de Baker Street est un hommage au genre, plus précisément à la littérature victorienne.
C’est une plongée tête la première dans les rues du Londres de l’entre-deux guerres à laquelle nous sommes conviés. Deux détectives privés, fan de Sherlock Holmes pour l’un et de Charles Auguste Dupin pour l’autre (en somme les deux figures tutélaires du roman policier à énigme), sont embarqués dans une histoire de fantôme. Le livre est un mélange détonant entre rationalité et pur fantastique. Cocktail affectionné par l’un des maîtres du genre, John Dickson Carr, mais que Fabrice Bourland dose différemment. A l’inverse, ici les séances spirites se révèlent ne pas être de la supercherie, mieux, et c’est l’idée forte du roman, elle dépasse l’entendement puisque l’on y trouve bien plus que les morts. Les êtres imaginaires, les mythes, bref toute une part du bestiaire de notre inconscient collectif vit dans cet Au-Delà. Toute l’originalité du roman repose sur cette idée bien amenée, faisant des scènes spirites de grandes réussites. Les deux confrères, plongés en pleine énigme supranaturelle via la femme du défunt – sir Arthur Conan Doyle – vont devoir résoudre une série de crimes inspirés par Jack l’éventreur, Dracula, Dorian Gray et répondre à cette interrogation : qui hante le 221 Baker Street ?
Un hommage et une idée inspirée
C'est l'histoire qui compte dans ce livre. Un aspect qui contrebalance la trop grande simplicité de l'écriture. Étrangement, toutefois, le scénario n’est pas aussi intriguant et palpitant que ceux caractéristiques du courant littéraire dont l’auteur s'inspire. Les gourmandises et les astuces dont raffole ce genre tels qu'une enquête maligne, des révélations et des coups de théâtres sont à peine présentes. Le dénouement est brutal et peu enthousiasmant, sans aller, toutefois, jusqu'à gâcher le récit. La surprise de taille restera l’idée que les êtres imaginaires ont une vie spectrale. Ceci est le point central de l'histoire et il faut avouer qu'elle sait nous tenir en haleine. L’autre intérêt de ce roman est l'hommage à Arthur Conan Doyle, Bram Stoker, Wells, Stevenson… les grands maîtres du roman de genre anglais. Les références pleuvent. Le scénario – on l'a vu – se prête à l’exercice. C’est par moment poussif, mais l’auteur sait le plus souvent rester dans la jubilation et la passion. L’ouvrage refermé, quel lecteur ne sera pas saisi d’une frénétique envie de relire ou lire enfin ces classiques dans leurs versions originales ? Et si cette histoire un peu tirée par les cheveux, aux limites du fétichisme de la littérature victorienne, reste crédible et ne sombre jamais dans le travers du pastiche, c’est parce que l’auteur a fait de sa passion une force créatrice, au-delà du simple hommage.
Une écriture mitigée…
Bien que nous soyions dans la collection 10/18, nous avons la nette impression par instant de lire un roman un peu trop écrit à la va-vite pour les standards réputés plus rigoureux de la collection. La plume est si simple que les rares phrases descriptives, aussi brèves soient-elles, en deviennent parfois extrêmement lourdes. La psychologie des personnages relève de cette même ambiguïté. A la fois attachants, sympathiques, avec un narrateur amusant à suivre dans sa mauvaise foi et ses réflexions, leur traitement flirte souvent avec la naïveté, les lieux communs ou, pire, un aspect convenu (téléphoné ?) du récit. L’ensemble confère, certes, un charme, et les discussions entre personnages aux caractères bien cernés ne sont pas pour déplaire, mais leur manque de maturité ou de spontanéité nuit. L’auteur parvient quand même à leur faire tenir la route, ce qui n’était pas forcément chose aisée avec l’étrangeté des situations auxquelles ils sont confrontés. Peut-être qu'au fil des romans de la série ces points, trop élémentaires, s'affineront.
… Pour une ambiance réussie
Si ce n’est de par l’écriture, d’où provient l’atmosphère singulière de ce roman ? Le Fantôme de Baker Street fait des références littéraires un emploi multiple : c’est tout à la fois le matériau, la profondeur, le thème, le contenu de l’intrigue et la manière d’ancrer son récit dans la réalité. Avant même le premier chapitre, l’auteur joue avec un procédé un peu oublié, que l’on a retrouvé dans Bloodsilver et son faux auteur : la mystification. Une des marques de fabrique de la littérature victorienne. Procédé troublant qui confond le lecteur, faisant déborder la créativité et l’imaginaire sur les données réelles du livre. C’est ainsi que Sherlock Holmes, par exemple, et sa vraie fausse adresse a longtemps fait interroger le lectorat sur son existence (un des thèmes du livre d’ailleurs). Concrètement, le roman débute par une fausse note de l’éditeur, nous relatant un récit farfelu mais plausible sur la façon dont lui est parvenu le manuscrit : c’est un document retrouvé sur le tard d’un fin limier américain très connu, notre narrateur. Le doute s’installe et nous voilà déjà dans le récit. Pas n’importe lequel, puisque ce n’est plus un récit mais un témoignage vécu. Que l’on soit dupe ou pas importe peu, le charme opère. Coupures de presse, documentation très précise sur Londres et sur les événements de l’époque renforceront cet effet. Plus original, le jeu de la mystification se poursuivra jusque dans les nombreuses légendes de bas de page qui parsèment la lecture : notes d'éditeur et du faux auteur. Ce jeu référentiel et de mise en abîme concourt à épaissir l’atmosphère que l’écriture n’apporte pas.
Le Fantôme de Baker Street est une lecture distrayante pour laquelle nous nous prenons au jeu avec de très bons moments forts qui replongent dans le plaisir de cette littérature. Hymne au fantastique autant qu’aux auteurs victoriens, dommage que les personnages ne soient pas plus fouillés, l’intrigue plus fine, le matériau plus exploité, ce qui est mieux que surexploité il faut le concéder. Peut-être que ces lacunes traduisent la volonté de l’auteur de faire un original et bon roman ado. Ce qu’il est.