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Le Rasoir d'Ockham

Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 18/01/08  -  Livre
ISBN : 9782081208650
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Arkady   - le 31/10/2017

Le Rasoir d'Ockham

Un livre d’Henri Lœvenbruck crée toujours l’événement. Depuis sa trilogie du louveteau, La Moïra (se reporter à l’excellente étude du Dr Leleu sur cet ouvrage culte), cet auteur est devenu un des fers de lance du marché de l’imaginaire français. Il a confirmé cette domination de sa main gauche avec ses thrillers ésotériques, Le Testament des siècles et le médiatisé Syndrome de Copernic, dont les ventes, si elles n’atteignent pas celles de La Moïra (plus de deux cent cinquante mille exemplaires vendus en France) se chiffrent en dizaine de milliers. Cette suprématie d’Henri Lœvenbruck a été consacrée et acclamée en l’an 2006 par le milieu de l’imaginaire d’où est issu l’auteur (il est notamment à l’origine du fanzine de référence SF-Mag) à travers un Prix des Imaginales d’une pertinence éprouvée.

La troisième excursion, bien hardie, d’Henri Lœvenbruck sur les terres nouvelles du thriller ésotérique est l’occasion idéale de se pencher plus avant sur les préceptes d’écriture d’un des auteurs phares de notre chère et tendre contrée, ou comme l’indique l’avenant bandeau rouge prompt à titiller notre rétine : du « nouveau maître du thriller français ».

« Voilà un roman policier qui déborde. » (Jocelyne Remy, « Le Bien Public »)

Rapidement, Le Rasoir d’Ockham se dévoile comme un roman-fleuve où s’embarquent plein d’allégresse tous les poncifs du genre, quitte à prendre l’eau au nom d’une cause incertaine. Afin de mieux en décortiquer l’intrigue et ses enjeux, il convient de revenir aux origines de son intitulé.

« Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem », ainsi, d’après la légende, le moine Guillaume d’Occam formula le principe logique connu sous le nom de Rasoir d’Occam. Ce principe consiste à exclure les multiplicités d’hypothèses dans la conduite d’un raisonnement tant que les hypothèses déjà émises n’ont pas été épuisées. L’application de ce principe n’est pas que scientifique, il peut également se rapporter à une enquête policière. C’est le cas dans Le Rasoir d’Ockham où le héros se prévaut, tel l’égal d‘un Sherlock Holmes des Temps modernes, d’appliquer ce principe afin de démêler l’écheveau mystique qui se dresse devant lui.

Là où cette référence scientifique devient intrigante dans le roman d’Henri Lœvenbruck, c’est que les déductions du héros, couplées aux avancées du récit, s’établissent suite à des découvertes d’indices flagrants ou des rebondissements inopinés. Le héros se retrouve vite plongé dans une aventure effrénée qui le dépasse et sur laquelle son principe n’a plus d’emprise. Alors pourquoi un tel titre et pourquoi son protagoniste ne cesse-t-il de répéter que l’application de ce principe l’aide à progresser dans son enquête ?

Une des réponses que l’on pourrait humblement apporter est qu’il s’agit là d’un aveu en demi-teinte de l’écrivain, qui livre dans cette œuvre, modestement, sa méthode d’écriture. Henri Lœvenbruck applique en effet le principe du Rasoir d’Occam à son roman, un principe qu’il assimile pour plus de simplicité et d’aisance en un « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ». Détaillons.

« Un thriller d'aujourd'hui pas rasoir pour un sou. » (Guillaume Branquart, « Sortir Lille »)

Lors de l’élaboration d’un roman, il convient en premier chef d’en déterminer le héros. Comme il s’agit d’un thriller, la simplicité exige un héros à l’américaine, ceci en n’omettant pas le caractère français du public ; puis, comme le roman se doit de prendre la forme d’une enquête ésotérique et musclée, il faut un personnage qui soit à la fois un policier ayant accès à des sources d’information sur l’ésotérisme et un combattant endurci. Voici donc Ari Mackenzie, un Canadien expatrié à Paris, employé dans le service des affaires occultes des Renseignements Généraux et marqué par un passé de militaire en Croatie (et qui est empreint d’une certaine modestie à l’égard de sa personne : « Lola lui avait dit un jour qu’il ressemblait à George Clooney, en moins grand ; il n’en demandait pas plus. »)

Ensuite, il faut définir son entourage. Comme tout bon héros, il lui faut un minimum de parents meurtris, une petite amie attachante, un chef de section odieux, sans oublier un petit animal domestique. Voici donc une mère morte, un père handicapé, une jeune et jolie libraire Lola[1], un petit chat Morrison et l’infâme chef de section Gilles Duboy (toute ressemblance avec un éditeur français existant ou ayant existé est purement fortuite).

[1] « Elle avait un petit nez gracieux, de discrètes fossettes et des lèvres délicates, harmonieux ensemble où l’on devinait des sourires faciles. Elle était belle comme une nymphe qui s’ignore et fumait comme une star de l’Actor’s Studio. »

Afin d’équilibrer le casting, il convient maintenant de définir le méchant. Comme on veut quand même un thriller qui dépote, le méchant se doit d'être à la fois un psychopathe, un industriel vénal, le membre d’une secte d’illuminés, une femme sexy, un parangon de mystère, et si possible qu’il soit chauve avec des lunettes (toute ressemblance…). Certes, ça fait beaucoup, alors simplifions : qu’il y ait plusieurs méchants ! Voici donc la tueuse en série Lamia, l’industriel vénal à la recherche du trésor de ses ancêtres Érick Mancel, le président de la confrérie néo-nazie du Vril (descendants directs de la Loge de Thulé) Albert Khron, et un individu étrange appelé Le Docteur dont la rumeur prétend qu’il fut alchimiste au XIXe siècle.

Enfin, il faut bien y passer, l’intrigue doit être établie. Thriller ésotérique oblige, le principe d’Occam induit de prendre racine dans le moyen-âge, et, conséquemment, de trouver une personnalité française érudite à la Léonard de Vinci, et d’imaginer qu’elle a laissé un secret derrière elle. Cela implique nécessairement une énigme (simple) sur des parchemins, des francs-maçons ou un truc cool du même genre, une arme surpuissante (pour justifier l’intérêt des méchants vénaux) et une légende mystérieuse encore plus puissante derrière (pour justifier l’intérêt des méchants illuminés). Voici donc Ari Mackenzie lancé sur les traces des carnets perdus de Villard de Honnecourt, carnets détenus par une loge secrète de Compagnons, et qui mènent sur la trace d’un passage secret ouvrant sur la Terre Creuse où est dissimulée une méga-arme des temps anciens (un peu comme le « grand héritage » des Cités d’Or).

Voilà. Ensuite, comme ça fait quand même beaucoup, il y aura une suite. Non, simplifions, une trilogie. Ah, et il faut du coup une sous-intrigue complète pour ce premier volume, afin de satisfaire le lectorat. Le principe d’Occam suggère de prendre un thème simple et universel : l’amour.

« Dans Le rasoir d'Ockham Henri Loevenbruck impose un thriller d'investigation. » (Valérie Vigier, « France Soir »)

Henri Lœvenbruck mélange donc l’ensemble des éléments ci-dessus le long d’une intrigue au déroulé simple (Occam toujours), qui se calque sur les crimes de Lamia. Celle-ci conduit en effet la manœuvre en s’emparant un à un des manuscrits de Honnecourt, en trépanant les compagnons de la loge secrète dans la foulée – en notant que, là encore par souci de simplification, les manuscrits sont dérobés dans le bon ordre de lecture. Ari Mackenzie, dont l’intelligence avoisine celle d’un âne empaillé, se contente de suivre, non sans difficultés, les traces de la tueuse et reconstitue tant que bien que mal les motivations de ses différents adversaires tout en tentant de renouer avec son ex.

Histoire de pimenter toutefois son récit, Henri Lœvenbruck invente une autre liaison à son héros, afin de tester son couple et son amour. L’heureuse élue est l’épicée et mystérieuse Mona Safran (on a échappé de peu à Lisa Paprika). L’auteur se donne, grâce à elle, un malin plaisir à ajouter un peu de sexe à son roman. Ainsi, Ari Mackenzie, pour son premier tête-à-tête avec Mona Safran, et alors qu’elle est la suspecte idéale et une meurtrière en puissance, lui défouraille le foufouillon sans arrière-pensée contre la porte de cuisine. Grand farceur, Henri Lœvenbruck s’amuse également avec ses méchants, comme dans la scène où le vil Érick Mancel torture l’innocente Lola juste pour obtenir le code PIN de son téléphone portable.

Au final, le roman ne se termine pas – soit l’auteur avait oublié la fin dans son pitch de départ, soit il a estimé qu’il avait assez réfléchi pour ce premier tome – et abandonne Mackenzie alors que le tunnel menant à la Terre Creuse est rebouché par les Forces de l’Ordre sans qu’il ait pu aller jusqu’au bout (simplifions : l’entrée du tunnel se trouve au fond d’un vieux puits de l’église parisienne St-Julien le Pauvre, tunnel miraculeusement préservé des travaux du métropolitain. Simplifions encore : Mackenzie ne peut aller au bout du tunnel, car sa lampe de poche tombe en panne). Mais, heureusement, le roman s’achève sur l’image chatoyante de nos deux tourtereaux convolant en un ultime baiser.

« La prouesse de Lœvenbruck vient de ce que ce roman, à la fois renversement et réinstauration du mythe du Graal, le transpose pourtant sous les aspects de notre temps. L'écriture rapide et efficace est un bouquet de sons fugaces comme l'apparition du dernier des anges qui viendrait hanter nos rêves. » (Gaston-Paul Effa, « Le Républicain Lorrain »)

Quant au style de Lœvenbruck, on pourrait aussi simplifier la critique et, au jugé du catalogue de moues du héros (la moue embarrassée, la moue ironique, la moue désolée, la moue amusée, la moue dubitative, la moue sceptique, la moue pensive et ma préférée la moue interdite), dire que c’est du DOA traduit par Aubenque, mais ce serait passer à côté de la mise en abîme que s’applique l’auteur (par effet miroir, Mackenzie prend ses notes tel un écrivain dans un carnet Moleskine). Car Henri Lœvenbruck expérimente le principe du Rasoir d’Occam à son style qu’il épure à l’extrême : sujet, verbe, complément ; cette fois, tout y est. L’auteur a progressé depuis son phrasé primaire du Testament des siècles et parvient désormais à enchaîner plusieurs phrases consécutives sans donner le mal de mer à son lecteur. Il tente même quelques envolées lyriques, certes point assez n’en faut, qui confèrent par moments au récit un charme certain. Quelques extraits de ces envolées enchanteresses pour mémoire :

« L’hiver était tombé bien vite sur la capitale, cette année-là. Pas un de ces petits hivers complexés qui vous frôlent gentiment la nuque, non, un bon gros hiver bulldozer qui remplit le métro de sans-abri, quand il ne les saisit pas d’un coup, foudroyés sur une grille de platane dans le silence des cœurs enneigés, un sale hiver de Première Guerre mondiale, qui fait fumer les bouches et monter les épaules des silhouettes en laine. »

« Je t’aime Lola. Je ne connais pas d’autres mots pour dire ce que je ressens et je regrette tellement de ne pas te l’avoir dit plus tôt, tout simplement quand tu étais là, devant moi, au creux de ces bras qui, maintenant, ne peuvent plus te serrer. J’aimerais tellement t’offrir ce que je ne pouvais t’offrir, parce que je n’en avais pas le courage ou parce que je savais que tu méritais bien mieux que ça. Bien mieux que ce qu’un homme comme moi peut te donner. Tu es un ange qui s’ignore, Lola. Une perle au milieu des cailloux. »

« Sur maître Jacques, sur le père Soubise, sur le temple de Salomon, sur les bons-drilles de jadis, les gavots, sur tous les enfants du compagnonnage, il jura de se taire et d’accepter de mourir dans la plus effroyable souffrance. »

La question se pose alors : Faut-il conseiller Le Rasoir d’Ockham ? Si ce roman prévaut par son exemplarité en terme de simplification littéraire, il faut admettre, à contrecœur, que cette simplification et cette absence de style, et surtout d’audace, rendent la lecture sans surprise et rapidement fastidieuse, et ne fait pas du Rasoir d’Ockham une œuvre recommandable. Il lui manque ce brin de folie qui fait les grands romans, tels une fellation aquatique, ou un envol de périglottes, ou des extra-terrestres templiers venus d’une autre dimension pour renverser la dictature chinoise, ou une oligarchie saphique, ou un écrivain se projetant en Aventurier du Nouveau Monde, ou des singes se battant en duel à coups de pénis, ou un nain avec des petits pieds, ou une règle plantée dans une raie des fesses pour en mesurer la profondeur, bref tout ce qui fait le charme de nos beaux auteurs du Landerneau de l’imaginaire français.

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