Les allées de Cocagne

Gary A.Braunbeck est un auteur encore peu connu en France. Hormis quelques nouvelles ici et là, notamment dans l’anthologie périodique Emblèmes chez l’Oxymore aujourd’hui disparu. Un auteur qui reste largement à découvrir puisqu’il a écrit près de 19 romans et 200 nouvelles aux Etats Unis et récolté plusieurs prix dont trois Bram Stocker Award, le dernier en 2006. Les Allées de Cocagne est donc son premier recueil en France, publié à quelques dizaines d’exemplaires par l’association Catharsis qui réalise déjà l’excellent fanzine Bordeline.

Du fait divers au fantastique.

Gary A.Braunbeck est un auteur qui aime jouer avec la marge. Ses nouvelles se situent aussi bien dans le fantastique que dans la littérature générale voir le western. Il explore toutes les pistes possibles donnant à son recueil une véritable et bien agréable diversité.

Côté fantastique, Rami Temporales est un véritable petit bijou. Il y évoque un personnage qui chaque jour recueille les confidences de ses contemporains. Une sorte de don d’empathie bien involontaire mais auquel il s’est habitué. Jusqu’au jour où un bien étrange bonhomme l’aborde pour lui faire une proposition à propos de son don. Un choix très douloureux pour une nouvelle qui a une véritable poésie avec un héros à l’heure du choix. Autre texte fantastique, Cotisations syndicales, se place lui dans l’enfer de l’industrie avec un shérif confronté à la mort d’un ouvrier à l’usine. Une usine étrange, entêtante et monstrueuse...

L’un des meilleurs récits de ce recueil ne flirte lui avec le fantastique que de manière très discrète Une femme sur commande. Rien qui n’influence véritablement l’histoire de ce cow-boy qui part prendre possession de la pension de sa tante à la mort de celle-ci. En chemin il rencontre une belle jeune femme perdue en pleine tempête de neige sur le quai d’une gare qui ne voit passer les trains que rarement. Un texte là aussi tout en finesse et où l’horreur pointe ici le bout de son nez.

L’horreur est surtout présente dans Matthew, le matin, une nouvelle en pleine guerre de sécession avec un médecin qui lit la dernière lettre d’un soldat qui s’est suicidé quelques heures plus tôt. Une confession poignante avec un jeune homme qui voit son frère devenir un monstre dans la boucherie des champs de batailles. C’est toute la cruauté et l’absurdité de la guerre qui saute à la figure du médecin et des lecteurs.

L’absurdité des hommes est également particulièrement présente dans le texte éponyme du recueil : Les Allées de Cocagne. Un an jour pour jour après les attentats du 11 septembre, un afghan vivant aux Etats Unis tente de faire ses courses tranquillement dans un grand magasin. Une véritable aventure en pleine paranoïa américaine. Un texte en prise avec l’actualité et qui évidemment n’épargne pas les contemporains de Braunbeck.

Un auteur à découvrir de toute urgence.

A la lecture de ce recueil se dégage une certitude. Gary A.Braunbeck est un excellent auteur que ce soit en fantastique ou dans d’autres genres. Son écriture possède une certaine finesse et il parvient assez habilement à emmener son lecteur dans une sorte de poésie un peu mélancolique transformant ses textes en récits poignants. L’un des exemples, c’est Le Casse du Siècle avec un vieux papy qui dans un bar raconte qu’il va braquer la banque d’en face d’ici peu. Comme quasiment tous les autres héros de ce recueil, c’est un homme du peuple, sans histoire et dont le destin n’est pas franchement exceptionnel. On est dans l’aventure du quotidien, les personnages se retrouvant souvent enfermés dans les événements et la bêtise humaine. Et c’est finalement ce qui rend toutes ces histoires si passionnantes. Après les nouvelles de Braunbeck que l’on avait pu lire dans Emblèmes, Les Allées de Cocagne confirme la qualité de cet auteur qui est resté jusqu’ici ignoré de quasiment tous les éditeurs français. Un oubli à réparer sans doute rapidement !