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Résurrection

Alejandro Jodorowsky (Scénariste), Marco Nizzoli (Dessinateur), Pierre Matterne (Coloriste), Silvano Scolari (Coloriste)
Aux éditions : 
Date de parution : 02/02/08  -  BD
ISBN : 9782731619850
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Laurent Lavadou   - le 27/09/2018

Résurrection

Alexandro Jodorowski, le célébrissime auteur de l’Incal et de La Caste des Méta-barons (Humanoïdes Associés) est né en 1929 au Chili. Véritable artiste-explorateur aux multiples talents (réalisateur, romancier…), il attribue à ses créations un sens symbolique engagé. Sa rencontre avec le dessinateur Arno va donner naissance à l’univers magique et merveilleux d’Alef-Thau au large succès dès 1983. Les Aventures d’Alef-Thau trouveront leur terme en 1998, deux ans après la disparition d’Arno.

Dessinateur des séries Le Jour des Magiciens et Les Enfants du Crépuscule (Humanoïdes Associés), Marco Nizzoli, né en 1968 en Italie, a également contribué à de nombreux albums et séries érotiques. En 2008, il est approché par Jodorowsky pour redonner une nouvelle vie au Monde d’Alef-Thau que le scénariste n’avait pas encore totalement exploré.

Une promenade de santé

Résurrection
s’articule autour d’un principe qui brille plus par sa mise en scène que par son originalité : Alef-Thau se retrouve passablement estropié (sans membres ni yeux) dans son monde imaginaire de Mu-Dhara, tandis que son corps réel est plongé dans un profond coma sur un lit d’hôpital. C’est à bord de la roulotte de Hogl et Sambara qu’il embarque et entame son long chemin vers la délivrance. Commence alors la lente reconquête du corps par l’esprit. D’une cité à l’autre et après une longue traversée du désert, l’homme-tronc va devoir affronter les dieux ou s’y soumettre. À chaque victoire d’Alef-Thau sur les démons d’On-Rha, il recouvre une partie de ses moyens. Victoires qui se concrétisent par un signe encourageant de son corps comateux dans la réalité.

Les adeptes de la série retrouveront tous les ingrédients et personnages clés de l’univers d’Alef-Thau comme Hogl (et son double réel). Une fantasy toujours aussi inspirée, cohérente et prolifique ; une intrigue alimentée par le complot et le péril qui guettent Mu-Dhara. Mais les années auront-elles émoussé l’émerveillement des années de gloire ?

C’est pas trop Thau !

Comme l’affirme l’éditeur, il n’est pas nécessaire de connaître le premier cycle pour apprécier le second. Mais pour les aficionados, les retrouvailles avec Alef-Thau se feront en douceur et sans grosse ficelle. Toutefois, sans en révéler les mécanismes, le retour du héros dans son monde imaginaire manque singulièrement d’originalité. Il est suivi par des dialogues au ton emphatique et épique (« qui me viendra en aide ? Au secours ! ») qui donnent une entrée en matière à cet album un peu déconcertante. Heureusement, tous les éléments de fantasy propres à l’univers d’Alef-Thau sont au rendez-vous : de la lézarciole au chat géant Mirra attelé à la roulotte de ses bons samaritains, Alef-Thau rencontre un amusant bestiaire onirique ; et les maléfices des Dieux et autres démons malintentionnés offrent de nombreuses actions bien trouvées, comme l’attaque des Chevaux de Nuit.

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort

Dans cette belle allégorie du combat intérieur, Jodorowsky donne libre cours à son imaginaire pour donner corps à la volonté humaine, au combat contre la mort et au miracle. En cela les fans de la première heure renoueront avec l’esprit des aventures d’Alef-Thau. Jusqu’à la foi aveugle qui anime le héros et l’angélisme qui caractérise ses actes. On est bien loin des ambiances post-apocalyptiques qui inondent la BD moderne.

Les parallèles amusants et troublants entre les événements ayant lieu dans le monde réel et celui d’Alef-Thau constituent l’armature du scénario. Et ils font mouche : on finit par ne plus savoir s’il s’agit d’analogies liées aux perceptions peut-être toujours en éveil du corps comateux du héros, ou si ce sont des coïncidences révélant un lien bien plus étrange entre réalité et monde imaginaire…

A cœur vaillant tout réussit

Le rythme et le scénario de Résurrection sont sans grande surprise. Les combats d’Alef-Thau finissent invariablement par un succès et les épreuves ne semblent pas lui résister bien longtemps. Cette facilité est la seule faiblesse de l’album. On regrettera que la variété des personnages ne serve pas des intrigues plus recherchées et moins manichéennes.

Plus recherchées, vraiment ? C’est là qu’on se gratte le crâne dubitativement. Même si l’album oscille parfois entre gentillesse et grossière caricature mythologique (lorsqu’Alef-Thau triomphe d’un labyrinthe en poussant la ritournelle, on hésite à sourire ou à tourner rapidement la page…), la fantasy de Jodorowski ne se lit pas au premier degré. Il émaille son album de nombreux symboles qui sont bien loin de résonner comme des clichés. Comme cette guerrière, Malkouth (connue des fans) sauvée par Alef-Thau et qui, en le portant sur son dos, va devenir ses bras et ses jambes, à l’image de celle qui se bat pour lui dans la réalité. Un sympathique renouement avec la teinte amoureuse du premier cycle.

L’évocation mythologique s’exprime toujours aussi librement (le nécrosaure qui ravage la ville) jusqu’aux attributs d’Alef-Thau pourvu de sa fameuse natte prolongée d’un couteau et surtout d’une voix prodigieuse pour s’attirer la réussite et le dénouement heureux de ses épreuves (un mode d’expression d’ailleurs des plus périlleux à rendre en BD !).

Une fantasy très personnelle

Et Jodorowsky nous gratifie, sur le ton engagé et métaphorique qu’on lui connaît, d’un brin de cynisme et de noms étrangement évocateurs avec par exemple la ville de Basse-cour Paradis engraissée par les Horlas (« votre déesse n’est pas la grande Ghéa mais la grande bouffe ») : comme pour rappeler que l’homme s’auto-satisfait inconsciemment de ses addictions et les personnalise en un être étranger et invisible (Maupassant, quand tu nous tient !). On comprend alors en quoi sauver cette ville imaginaire permettrait à Alef-Thau de vaincre ses faiblesses d’humain pour réintégrer son corps réel. Dans ce jeu de cache-cache, quel sens attribuer au bref mais troublant clin d’œil à Arno en fin de tome (qui nous plongerait presque dans un abîme de  confusion sans fond qu’un second tome va devoir vite combler…) ?

L’apparente bonhomie de l’intrigue n’interdit donc pas des références amusantes et s’accompagne même de petites subtilités qui émoustilleront les lecteurs (novices ou initiés) : comme ces références au premier cycle qui déraillent (Mirra qui est ici un chat) ou les religions antagonistes de Kon-Sien-Ziah et In-Kon-Sian

Voilà donc cette liberté de Jodorowski qui s’affranchit des codes obscurs et complexes de l’heroïc-fantasy pour favoriser le rêve et l’imaginaire, et qui distingue l’auteur depuis ses débuts.

Une esthétique originale et poétique

Même si certains fans regretteront la « patte » incontestée d’Arno, il faut reconnaître que le choix graphique de ce second cycle relève honorablement le défi. Seul point commun avec le premier cycle : une vraie poésie du trait, c’est tout ce qu’il fallait. Sans être d’une précision remarquable, les dessins de Nizzoli sont d’une originalité très évocatrice. Les contours sont souples mais les textures relativement limitées ; c’est le travail de la mise en couleur qui assure le rendu des perspectives et la mise en volume des personnages. Et c’est dans la simplicité du trait que la magie opère : Nizzoli multiplie l’arabesque avec subtilité, aussi bien dans les attributs de ses protagonistes que dans les décors bucoliques des villages. Les couleurs offrent des tons pastels remarquablement bien équilibrés, riches et variés. Pas de dégradés outranciers, seulement des lavis propres et discrètement nuancés. Ce sont les tons sable et rosé (étonnamment doux et crédibles) qui dominent dans le monde imaginaire d’Alef-Thau, tandis que les gris bleutés caractérisent la réalité de la chambre d’hôpital. Loin des couleurs vives qui définissaient le premier cycle, Le Monde d’Alef-Thau trouve néanmoins, comme son prédécesseur, une identité et un équilibre graphiques très agréables.

L’articulation des scènes est quant à elle bien orchestrée et la lecture de l’album est fluide et prenante. Grâce à une mise en page dynamique et aérée où les larges cases s’étalent régulièrement à bord perdu, on navigue avec plaisir d’une page à l’autre. Parmi des ambiances efficacement construites, les expressions des personnages font parfois l’objet d’une seule et même case centrée sur leurs visages, offrant d’intenses respirations d’une action à l’autre.

Un bon vieux Jodorowski !

Par sa maîtrise graphique et son univers merveilleux bien ancré, ce premier tome du second cycle d’Alef-Thau offre un vrai plaisir des yeux. Si l’on passe sur quelques mièvreries sans conséquences et un manichéisme mal dissimulé ou inutilement cynique (« pour faire le bien, il faut parfois faire le mal… »), on s’attend à un second tome tout aussi onirique.

Novices, ne vous privez pas de la lecture du premier cycle qui, sans être indispensable, vous donnera la mesure et l’origine de l’univers d’Alef-Thau. Fans des débuts, mettez de côté les « c’est pas pareil » mélancoliques pour éviter de passer à côté d’un retour d’Alef-Thau qui, espérons-le, élargira son scénario dans les tomes à venir…

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