Specials
D’origine texane, Scott Westerfeld vit entre New York et Sydney où il exerce les métiers de compositeur de musique électronique et de concepteur multimédia. Il est l’auteur de L’IA et son double (Flammarion) et d’un space opéra médiocre, Les Légions immortelles (Pocket), qui a inexplicablement reçu le prix Philip K. Dick en 2000. Pour la jeunesse, il a également publié récemment V-Virus chez Panama. Passionné par la philosophie et la biologie, il travaille actuellement à une uchronie autour du personnage de Charles Darwin et de ses théories. Après un excellent Uglies et un très moyen Pretties, c’est peu de dire qu’on attendait au tournant ce troisième et avant dernier tome de la saga de Scott Westerfeld.
La perfection au féminin
Dans le monde où vit Tally, tous les adolescents, les Uglies, subissent à l’âge de 16 ans une Opération de chirurgie esthétique destinée à les rendre Pretties : physiquement parfaits et intellectuellement indolents. Les différences physiques, les jalousies et les rancœurs ainsi abolies, tous peuvent jouir d’une existence paisible. Mais à présent, Tally est au-delà de cela : c’est une Special, membre d’un corps qui vit dans l’ombre de la Ville, traque les éléments dissidents et veille sur la sécurité des Uglies et des Pretties. Après un nouveau lavage de cerveau, son visage a été taillé pour lui donner un air terrifiant, ses muscles redessinnés pour lui donner une force surhumaine et des réflexes hors du commun.
Mais lorsque Tally retrouve son petit ami, devenu handicapé par sa faute lorsqu’ils étaient Pretties, elle est prête à se retourner contre la Ville pour le sauver. Et elle s’apercevra bien vite qu’en s’opposant au Système, on laisse réapparaître peu à peu les fléaux qu’il est censé avoir éradiqués depuis plusieurs siècles : la haine, le productivisme destructeur de la nature et, inexorablement, la guerre.
Parce qu'elle le vaut bien...
Après un premier tome qui était une excellente surprise, Pretties avait déçu par son manque d’originalité et de rythme, et par l’incapacité de l’auteur à renouveler son concept. Specials
La grande qualité de cette saga, particulièrement pour de la littérature jeunesse, est la capacité de l’auteur à ne jamais se poser en donneur de leçons, à éviter la morale facile, et à poser des questions sans jamais livrer de réponse prémâchée. Cela tient aussi au caractère de l’héroïne, prête à tout pour défendre ses propres intérêts avant ceux de l’humanité, et toujours méfiante vis-à-vis de ceux qui cherchent à l’endoctriner. Scott Westerfeld a réussi à créer un personnage original et attachant, réaliste, détonnant parmi les héros de la littérature jeunesse souvent pétris de bons sentiments. Tally traverse le roman en provoquant toutes sortes de bouleversements sociologiques, mais laisse le soin aux lecteurs de décider ce qui vaut mieux entre une vie indolente mais soumise et une liberté qui conduit toujours à la violence.
Specials serait un excellent roman si seulement il n’était pas aussi mal équilibré : après une première moitié un peu longue et pas franchement trépidante, la seconde, beaucoup plus prenante, va trop vite. Les scènes fortes, comme la mort d’un personnage-clé ou la confrontation avec le docteur Cable, sont trop vite expédiées. Et l’on est encore une fois frustré de ne pas pouvoir explorer plus en profondeur la société inventée par Scott Westerfeld, laquelle paraît pourtant vraiment réfléchie.
Specials est toutefois d’une qualité suffisante pour laver l’honneur de la série bafoué par un second tome qui n’était pas vraiment nécessaire. Les aventures de Tally auraient pu s’achever ici, sur une fin certes rapide, mais ouverte. Mais Scott Westerfeld a choisi d’ajouter un quatrième et dernier opus à sa saga, paru récemment aux Etats-Unis. Tome de trop ou conclusion logique ? Réponse à la parution de Extras, en septembre 2008. commence exactement comme les deux premiers tomes et l’on craint vite de retomber dans ce schéma dont on s’est déjà lassé : lavage de cerveau, soumission, prise de conscience, rébellion. Heureusement, tout cela vole en éclat dès la seconde moitié du livre, lorsque la société parfaite commence à se détraquer et que ressurgissent les travers de l'espèce humaine, libérée de son joug. Il faut malgré tout, pour en arriver là, se farcir un demi-roman de péripéties insipides et d’élucubrations navrantes.