La Croisée des Chemins
Chris Wooding est anglais. Elevé dans une ancienne ville minière, il choisit très jeune de se lancer dans l'écriture tout en poursuivant ses études. Son premier livre fut publié alors qu'il n'avait que 19 ans, puis la plupart de ses manuscrits, qu'ils soient pour la jeunesse, d'horreur ou de politique-fiction, furent publiés. A 21 ans, il décida de devenir écrivain à plein temps. Ce qui ne l'a pas empêché de faire le tour du monde, de la Malaisie à la Scandinavie, avant de s'installer à Madrid. A 30 ans, il compte déjà trente ouvrages publiés et traduits dans de nombreuses langues.
La trilogie de La Croisée des Chemins puise dans ses expériences de voyageurs pour décrire un univers riche et coloré.
Quand les Dieux jouent aux échecs avec les humains
Kaiku est une jeune fille de bonne famille du royaume de Saramyr - une sorte de Japon féodal - qui se trouve soudain plongée dans une vie différente de la calme et paisible maison de ses parents.
Orpheline, se découvrant des pouvoirs destructeurs, elle traverse le pays jusqu'à la capitale, rencontrant des personnages étonnants comme une immortelle et une prêtresse d'une sorte de culte des mutants. Mutant elle-même, elle considère comme son devoir de découvrir pourquoi ses parents sont morts et pourquoi elle n'est pas comme les autres.
Mais elle est loin d'être la seule mutante. Même Lucia, la fille de l'Impératrice, possède des capacités étonnantes. Comme une épidémie, de plus en plus de jeunes femmes et de garçons naissent ou grandissent différents. ce qui ne semble pas du goût des Tisserands. Ces hommes énigmatiques se cachent derrière des Masques leur conférant des pouvoirs surnaturels, comme celui de communiquer entre eux quelle que soit la distance. Ils sont omniprésents auprès des seigneurs et chassent les mutants.
Inévitable, la guerre larvée que mènent Tisserands et mutants s'amplifie, embrasant tout le territoire. Lucia, Kaiku et leurs amis, pris dans la tourmente, doivent aller au bout d'elles-mêmes et du sacrifice pour comprendre et enrayer l'horreur qui envahit leur monde. Pions des Dieux qui se disputent le monde au travers de leurs champions, tous les humains et mutants de bonne volonté vont devoir s'unir ou périr. Mais est-il encore temps de sauver le monde ? Et le remède, finalement, n'est-il pas pire que le mal ?
Entre SF, Fantastique et Fantasy
Il est souvent tentant, pour simplifier, de réduire un livre - ou dans notre cas une trilogie - à un genre et de l'y classer. Cette opération est difficile pour La Croisée des Chemins. Bien des éléments nous ramènent à une forme de Fantasy japonaise, dans un monde peuplé de samouraïs et de belles dames en kimonos colorés. Plongé dans un monde si semblable aux clichés de l'Empire du Soleil Levant, nous pourrions nous laisser bercer par les images de pagodes et de jonques...
Mais l'horreur est là, sous-jacente, un zeste de fantastique qui traverse l'écran de carte postale. Les monstres rôdent la nuit, boivent la vie des humains et sont manipulés par les Dieux eux-mêmes. Les pierres aspirent le sang et des choses descendent des Lunes lors des conjonctions.
Pourtant, la technologie n'est jamais loin. l'auteur explique, explicite, nous décrit des machineries complexes et monumentales. Il ne reste pas cantonné dans un style. Bien au contraire, il s'amuse à jouer sur les genres, allant même jusqu'à expliquer scientifiquement des phénomènes horrifiques et sanglants.
Un décor somptueux, de l'action, des personnages
le texte est long. Trop long ? Peut-être... Mais il fallait bien autant de pages pour réaliser les ambitions de l'auteur. Tout d'abord, son monde n'est pas un décor en carton-pâte. C'est un univers dans lequel se débattent des gens, artisans, soldats ou seigneurs. Il est complexe, varié et longuement décrit - ce qui peut donner une impression de lenteur au texte.
L'action, quand elle est là, est violente, sanglante, à la limite du supportable. Mais loin de se complaire dans un sadisme ou un ambiance sanguinaire et macabre, Wooding rend les combats haletants, prenants et imprévus. Il joue avec notre imagination, nous plonge dans les tripes et la douleur sans en rajouter trop.
Pourtant, la vie n'est pas de tout repos pour les personnages que nous suivons. Mais eux aussi ont une profondeur, un passé et des réactions qui expliquent chacun de leurs choix, qui les rendent crédibles, attachants et vivants. Même lorsque le texte nous immerge dans l'esprit malade et psychotique du pire des scélérats...
Une œuvre à ne pas négliger
Chris Wooding réalise avec cette trilogie une histoire remarquable, tant par le fond - son traitement de la politique féodale, des rapports homme-femme et de la peur de l'Autre est fascinant - que par la forme. Il nous emporte avec lui dans un voyage long et parsemé de pièges, dont on ressort avec la sensation de mieux voir le monde.
Bien écrite, bien conçue, cette trilogie mérite que l'on se plonge dedans.