Fugue
Une nouvelle série de fantasy signée Jean-Charles Gaudin sort en même temps que le dernier Marlysa chez Soleil. L’auteur de l’héroïne masquée (Marlysa), de Garous, de Feul, des Princes d’Arclan, des Arcanes de Midi-minuit n’a pas pris trop de risques et propose une aventure initiatique de fantasy médiévale d’un format très classique. En s’assurant la complicité du jeune Dimitri Armand, l’éditeur a également minimisé les risques tant le talent du dessinateur est déjà affirmé. Une vraie révélation.
Jean-Charles Gaudin explore les identités troubles (doubles identités sexuelles, animales, sociales). Dans cette série, la quête identitaire est moins inattendue, c’est celle du passage de l’adolescent à l’adulte. Du moins c’est ce que laisse entendre la fin du premier album. Comme l’essentiel du premier album traite de la fugue de trois adolescents, cette confusion des âges n’y est pas réellement exploitée. L’aventure paraît du coup plutôt convenue et, comme l’univers, peu décrit, n’est pas d’une originalité folle, l’album devient une scène d’introduction un peu longue. Avis aux lecteurs : l’histoire commence vraiment à la dernière page. Un numéro 0 en quelques sortes…
Fugue en amis mineurs
Du haut des remparts, deux adolescents et un enfant assistent au mariage d’un grand chevalier d’Angor, mais ils doivent déguerpir car le spectacle est réservé aux castes supérieures. Talinn et Evranne, les deux adolescents, refusent de suivre la voie tracée par leurs parents. Evranne préfère le maniement de l’épée aux travaux de la ferme. Talinn veut devenir écuyer contre le souhait de son père. Le jeune Lorky, quant à lui, supporte mal la mauvaise influence de son grand frère. Tous les trois projettent de quitter leur famille et de partir à l’aventure.
Leur départ sera précipité par l’implication de Talinn dans un double crime dont il est innocent. Héritant de deux montures et d’un médaillon, les trois jeunes rebelles font une fugue direction Braderlank et la mer. En cours de route, Lorky subit une métamorphose étrange. Poursuivis par des chevaliers vengeurs jusqu’en ville, c’est grâce aux mystérieux pouvoirs du médaillon qu’ils échapperont à leurs poursuivants.
Une belle tenue graphique
La thématique de l’album est un peu usée. Trois héros se dressent contre leur destin social de fermiers pour devenir chevaliers et partir à l’aventure. Leurs préoccupations sont celles d’adolescents modernes, individualistes et sûrs d’eux. Ils revendiquent leur maturité et la conduite de leur vie. Remplacez l’art des armes par les études, la ferme par un travail alimentaire, le médaillon par l’apprentissage ou l’effet du temps, ajoutez la quête de l’égalité homme-femme et vous avez une métaphore de l’adolescence aujourd’hui. La transposition dans un autre monde n’est pas totalement convaincante. Le récit met davantage l’accent sur les atermoiements psychologiques des jeunes gens, leurs relations avec leurs parents que sur l’univers médiéval fantastique d’Angor. On apprend peu de choses sur les castes. Peu de choses sur la géographie et l’histoire locales. Pas d’exotisme particulier. La préparation du départ et la tension de la poursuite tiennent lieu de trame prééminente.
Les éléments originaux de la série sont peu exploités dans ce premier album. Les pouvoirs du médaillon, la possibilité de passer en un clin d’œil de l’adolescence à l’âge adulte (et vice-versa ?), les relations entre les trois héros, le contexte historique et social seront abordés, à n’en pas douter, avec plus de bonheur dans la suite de la série. Malgré cela, les personnages sont sympathiques, les dialogues et l’enchaînement des actions sont bien menés. La signature Gaudin garantit une certaine qualité minimale.
La bonne surprise est plutôt du côté graphique. Il n’y a rien de particulièrement original au niveau des dessins, mais, pour un premier album, Dimitri Armand (un pseudonyme très BD) témoigne d’une maîtrise technique et artistique tout à fait remarquable. Formé à l’école Pivaut (école d’arts appliqués et de dessin narratif), le jeune dessinateur fait une entrée en fanfare dans le monde de la BD. Les expressions des personnages sont variées et justes, les corps donnent toujours l’impression d’être en mouvement, les traits, à tendance rectiligne, sont souples, les contours souvent accentués (tendance manga). Les couleurs à dominante marron-orange (la terre et le cuir) sont chatoyantes et bien contrastées. Le style est d’inspiration cinématographique syncrétique (dessins animés américains, français et japonais) : une quintessence du dessin animé moderne. Peu de décors en dehors de la première case. Peu d’audace dans les angles de vue. Les dessins sont centrés autour des personnages, ce qui accentue l’effet série non contextualisée. Ces personnages ont une réelle présence 3D, à la façon d’un dessin animé, comme s’ils étaient traités dans les premières couches des plans. Dimitri Armand a répondu parfaitement à la demande et on le sent tout à fait capable de développer un style plus personnel et plus original.
Si la série n’est pas très originale, elle ne décevra pas les jeunes amateurs de BD fantasy. Elle est très agréable à lire et d’une excellente qualité graphique. Le récit devrait s’étoffer et prendre de l’ampleur dans les prochains albums. Alors, quoi souhaiter de plus ? On en demande Angor.