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Le fabuleux Maurice et ses rongeurs savants

Terry Pratchett ( Auteur), Patrick Couton (Traducteur), David Wyatt (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/03/08  -  Livre
ISBN : 9782266182027
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Christian   - le 27/09/2018

Le fabuleux Maurice et ses rongeurs savants

2008, année du rat, marque le 25ème anniversaire de la série du Discworld dont le premier titre The Colour of Magic ( La huitième couleur) fut publié en Angleterre chez Colin Smythe en 1983 (1993 pour la première traduction française chez l’Atalante). A l’occasion de cet événement, sort chez Pocket Fantasy, le vingt-huitième des trente-huit romans du Disque-monde Le Fabuleux Maurice et ses rongeurs savants. Depuis l’annonce de sa maladie,  une forme rare d’Alzheimer, on sait qu’il ne reste à Pratchett plus que quelques livres à vivre et ceux qui existent n’ont pris que plus de valeur.

Paraphrase de l’Anneau-Monde de Larry Niven, le Disque-Monde est un univers médiéval parodique à la manière de Tolkien, Jérôme K. Jérôme et Lewis Carroll réunis. C’est un « monde et miroir des mondes » burlesque, où l’ironie et l’humour distancié, très English, prennent prétexte d’un monde fantastique, très British, pour peindre les hypocrisies du temps (sociales, économiques, religieuses, …). Dans le Disque-Monde 28, ce sont un chat, le fabuleux Maurice, et une bande de rats intelligents qui agissent comme une société humaine et jugent les humains vus du sol. Ambiance mi-Hamelin/Grimm, mi-Ratatouille, tous les ingrédients sont réunis pour inspirer des scénaristes de dessin animé. Ce roman n’apporte pas de vraie précision sur les magiciens ratés de l’université invisible, sur Ankh-Morpork, sur les dragons ou les dieux du Disque, mais nous retrouvons la figure des voleurs qui, par un retournement ontologique dont l'auteur est coutumier, deviennent de gentils détectives. 

Tu chasseras les chasseurs de rats

Leur diligence ayant été attaquée, Maurice le chat,  Keith le joueur de flûte simplet et une bande de rats surdoués (de parole) parviennent à cheval jusqu’au village de Bad Igoince. Comme à leur habitude, ils entreprennent d’escroquer les habitants en infestant, puis en feignant de dératiser le village par le simple charme d’une flûte magique. C’est que devenus bêtement intelligents grâce aux déchets magiques de l’Université de l’Invisible, les rats ont appris à être cupides. Et comme Maurice a croqué l’un des leurs, il s’est naturellement imposé comme le greffier stratège et ascète (« Ne pas manger de rat savant ! Ne pas manger de rat savant !») apte à commander tout ce petit monde.

Mais voilà, des chasseurs de rats prospèrent déjà sur place, sans qu'aucun rat local n'ait été aperçu vivant. Maurice, Pistou, le rat de bibliothèque, Pêches, Pur-Porc, Noir-Mat, Fraîches, Tomate et d’autres rongeurs savants vont s’attacher à résoudre ce mystère. Le livre de Lapinou, la Bible des rats, et la fille du Maire, une petite fille intarissable et perspicace, vont les mettre sur la voie.

Même si Maurice le chat dirige cette troupe d’une main de maître (à bon chat bon rat), ils ne pourront démasquer les chasseurs qu’au péril de leur vie, en triomphant de la mort aux rats et du rat squelette, figure récurrente du rongeur faucheur chez Pratchett.

Le fabuleux Pratchett et ses rongeurs hilarants

C’est un Terry Pratchett en forme qui est à la manoeuvre. Après s’être solidement documenté sur le monde des rats, il nous en livre quelques aperçus saugrenus (comment deux rats peuvent s’échapper d’une fosse, comment est né le « roi des rats », groupe de rats reliés par la queue). L’auteur s’y sent à l’aise (il y a du rat dans pRATchett). Animal social de sinistre réputation, le rat est la métaphore comique de l’homme. Condamnés, par quelque malédiction divine, à errer dans les caves et les labyrinthes souterrains, ils s’épanouissent dans les boyaux du monde, sans remords. Aux rats innocents les pattes pleines.

Le fabuleux Pratchett use, comme à l’accoutumée, de nombreux effets comiques. L’Aventure de Monsieur Lapinou, un album naïf pour très jeunes enfants, est le livre de référence des rats éclairés qui découvrent et pensent le monde à travers lui. Une citation de cet album, le plus souvent stupide, trône en tête de chaque chapitre, comme s’il en conduisait la trame. Le fabuleux Maurice a du mal à résister à la tentation de croquer un rat intelligent, il doit se faire violence et finit par tout dévoiler : il a croqué Additifs, un des premiers rats savants. Par égard pour les êtres supérieurs, il jure qu'il vérifie désormais si le rat qu’il s’apprête à dévorer peut s’exprimer. Gare au rat qui ne parle pas. Un des rats, Jacko, ne peut s’empêcher de faire le pitre avec son chapeau et ses claquettes. La jeune fille volubile, Malicia, imagine sans cesse la suite de l’histoire comme si elle vivait un conte. Autre effet comique, la vie des rats est décrite comme la contraposée de celle des chasseurs de rats. Leur quotidien est d’échapper aux pièges. Ce sont des experts en poisons et contrepoisons. Une brigade de "pisseurs" permet de baliser les chemins sûrs.

Comme tout roman de Pratchett, le livre se prête à plusieurs lectures. Un premier niveau : celui de l’action, de l’intrigue et des dialogues percutants entre les personnages. C’est celui du dessin animé pour enfants. Un second niveau relève de la satire sociale, de la peinture amusée de l’incohérence ou de la violence des comportements humains. C’est celui qui plaira davantage aux adolescents. Un troisième niveau, enfin, plus diffus, plus ambigu, propose une interrogation métaphysique sur la place du rat (de l’homme) dans l’univers. Un niveau plus destiné aux adultes. Ce niveau est traité à la façon d’un Lewis Carroll ou d’un Voltaire. Avec une ingénuité feinte et toujours sous couvert de découverte du monde. Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur la nature du roman. Ce qui constitue chez Voltaire ou chez les utopistes la raison d’être même du récit ne sont chez Pratchett que de furtives illuminations. Quand un rat se demande si le Grand Rat sous terre a créé les hommes, nous sommes dans la fantaisie relativiste (l'homme n'est pas un absolu). Il n’y a pas d’esprit de système ou de métaphore générale de l’histoire humaine dans l’éveil des rats à la conscience. Pratchett est un esprit curieux qui pétille et qui émaille son conte social de petits scintillements métaphysiques, mais il n'a pas un conte philosophique.

En moins de 300 pages, il signe un roman rafraîchissant, drôle et intelligent qui s’adresse, fait rare, à tous les publics, au-dessus de 12 ans. Ainsi qu’aux chats ou aux rats savants.

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