Yunze, le dieu gardien
Le Lombard lance le premier album de la série Beast avec deux auteurs encore peu connus en France : le dessinateur Mateo Guerrero et le scénariste Thomas Cheilan. Le premier avait percé en Espagne il y a dix ans avec une série d’heroic fantasy, Cronicas de Mesene, et une série pour enfants, Cazadores en la Red, avant de travailler sur Warlands avec DreamWave Productions. Il a dessiné les deux premiers albums de Dragonseed aux Humanoïdes Associés. Quant au scénariste belge Thomas Cheilan, il avait surtout œuvré jusqu’à présent dans les scénarios de jeux de rôles, voire de jeux vidéo. Beast est sa première série BD. Il travaille également actuellement sur une nouvelle série, Salamandre, avec Dimitri Armand.
À ne pas confondre avec The Beast (Le Fauve), super-héros de chez Marvel, Beast devrait se décliner en trois albums : Yunze, le dieu gardien, Amrath, la reine sauvage et TôneTeht, le passeur d’âmes. C’est une série SF-fantastique mi-manga, mi-comics agréable à lire et sans trop de prétention.
La belle et les dieux-bêtes
Tandis que les êtres-machines ravagent la cité, le père de la jeune Nay veut détruire les droïds et la région en provoquant une explosion nucléaire. Parce qu’elle s’y oppose, la mère de Nay est abattue froidement devant sa fille, à qui elle a confié le soin d’emporter le détonateur loin de la cité. Ce douloureux sacrifice vaudra à Nay d’être poursuivie par les anciens dieux qui ont pris forme animale : le chien Yunzen, le félin Amrath, l’aigle Uok et le serpent Tône-Teht. Chacun de ces dieux a un projet pour les hommes, confrontés aux êtres-machines et aux hybrides.
Le chien géant Yunzen et son fidèle compagnon Eji trouveront les premiers l’enfant convoitée. Elle a été vendue comme esclave à une exploitation biotech. Eji cherche à l’en faire sortir, mais il n’est pas seul. Amrath et Zâo suivent Yunzen depuis plusieurs saisons pour récupérer Nay. Les ennuis ne font que commencer...
Le bestiaire en guerre
Amusante, cette idée de dieux incarnés en animaux monstrueux mais discrets, qui font régner l’ordre ou le chaos sur le monde. Ils agissent sur le destin des hommes via leur compagnon-maître (Eji, Zäo et d'autres). Amrath, le félin sorti des forêts, observe les hommes. Uok l’aigle veut unir les hommes sous une seule bannière contre les droïds. Tône-Teht le serpent réunit ses fidèles dans les temples secrets des semeurs de lame, il ourdit de sombres plans. Quant à Yunzen le chien gardien, on ne sait pas trop ce qu’il garde, si ce n’est Nay. Selon l’éditeur, ces divinités ancestrales cherchent à trouver un remède au combat sans merci que se livrent les humains, les êtres-machines et les hybrides. Ce n’est pas très évident dans le premier album, mais gageons que ça tombera sous le sens dès le second.
Peu bavard, le scénario est organisé en séquences chronologiques se produisant dans des lieux variés. Il a des allures de quête sans qu’on sache trop qui en est le principal personnage (Eji, Nay, Yunzen). Cheilan maîtrise la multiplicité des acteurs et des projets divins sans nuire au déroulement linéaire du récit. On se demande s’il arrivera à tenir jusqu’à la fin de la série sans trop de digressions. Le contexte social et historique général est abstrait (pas de nom à la cité détruite, on ne sait pas trop sur quelle planète on est, on sait tout juste qu’il y a des esclaves). Au départ, le scénario est plutôt SF sombre et adulte, malgré la présence centrale de Nay, mais le style manga juvénile de Guerrero, l’atmosphère colorée de Martin, tirent l’album vers la BD jeunesse (à ce détail près que Guerrero aime faire gicler le sang à la moindre occasion).
Yeux larges, visages lisses, cheveux épais et pointus, les personnages sont tous issus de l’univers manga, mais certains traits (muscles saillants, combinaisons caparaçonnées) les renvoient aussi à la catégorie des super-héros. Le style graphique de Guerrero est une synthèse des standards japonais, européens et américains, avec une touche première nippone. Guerrero s’est trouvé un style « mondialisé » accessible par tous de n’importe où. Le dessin est sûr, maîtrisé. Le dessinateur, doué, est plus confiant que dans ses albums précédents. Il joue davantage sur la diversité des cadres, des formats de cases, des angles de vue. Il n’y a pas d’action ou de prise de vue saugrenue. Les tonalités de couleur bleues pour le rêve et la nuit, oranges pour les batailles ne sont pas criardes, mais toujours variées et jamais monochromes.
Un album divertissant. De l’action. De l’exotisme. Peu de réflexion, mais le suivi du combat des dieux exige tout de même une certaine attention. La belle gueule de Yunzen en couverture en fait un dieu plus inquiétant qu’il n’est en vérité. D’autres gueules de monstres promises pour les prochaines couvertures sont dévoilées en fin d’album.