Alexis Aubenque a déjà écrit une dizaine de romans de science-fiction qui forment deux sagas : La Chute des mondes et L’Empire des étoiles. Toutes deux ont reçu un accueil peu enthousiaste. Avec 7 jours à River Falls, Aubenque s’attaque à un nouveau genre, le thriller.
Pour ce roman, l’auteur dégaine toute l’étendue de son arsenal littéraire, afin de livrer un récit sans aucune mesure. En lisant cet ouvrage, on reçoit une véritable leçon d’écriture et de construction de récit. Aubenque prouve qu’il manie parfaitement chaque élément d’une histoire…
Le scénario
River Falls est une ville tranquille. Toutefois, les corps de deux jeunes femmes sont retrouvés, atrocement mutilés, au bord d’un lac tout proche.
Les victimes étaient les amies de lycée de Sarah Kent. Cette dernière, étudiante à l’université de River Falls, a reçu une lettre de ses anciennes copines juste avant les meurtres. Elle s’interroge : sera-t-elle la prochaine cible du tueur en série ? Son passé, sur lequel elle garde un secret jaloux, est-il en rapport avec la mort de ses deux ex-amies ?
De son côté, le sherif Mike Logan, appuyé par Jessica Hurley, une profileuse du FBI et son ancienne maîtresse, mène l’enquête. Découvrir l’identité du tueur ne sera pas aisé, car il affronte un redoutable manipulateur…
Le décor
A priori, River Falls est la ville américaine par excellence. Nous n’avons toutefois aucune indication sur sa taille. Il semble parfois que l’auteur parle d’une petite bourgade, et d’autres fois d’une agglomération de taille bien plus conséquente. Peu importe, une ville américaine, c’est une ville américaine. Il y a forcément un sherif, une église baptiste, un quartier noir et des fast-food, alors pourquoi le dire ?
Nous savons que River Falls se trouve assez près de Seattle, dans Les Rocheuses, avec profusion de forêts de séquoias géants autour. C’est une région où il est aisé de trouver un lac. L’auteur en place donc un tout proche. Il servira au tueur à jeter ses victimes pour les faire disparaître. D’accord, il se rate complètement, vu que les corps sont retrouvés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Mais le coup du lac reste un classique hollywoodien indémodable.
River Falls possède une université. C’est indispensable pour disposer d’une population jeune, dépravée et inconsciente, qui saura se jeter dans les bras d’un tueur en série.
Aubenque sait parfaitement équilibrer son récit. Il détaille le moins possible le décor, qui est pourtant un élément capital, nous en conviendrons. Mais ainsi, il n’alourdit pas le récit. Il évite les explications longues et inutiles. L’inconscient du lecteur a parfaitement assimilé, au travers de dizaines de séries et de films américains, à quoi peut ressembler River Falls. Aubenque réserve l’alourdissement du récit, qui est chez cet auteur un procédé littéraire à part entière, à des moments de plus grande tension, comme nous le verrons plus tard.
Les personnages
Aubenque a parfaitement compris que des personnages trop atypiques déstabilisent le lecteur. Ce dernier doit se sentir rassuré par des protagonistes auxquels il peut s’identifier naturellement :
Sarah Kent est une étudiante super canon. Comme ses copines, elle a « un corps sculptural qui fait vibrer tous les garçons ». Evidemment, elle sort avec le quaterback de l’équipe de football de l’université. L’auteur donne beaucoup de détails sur elle, probablement parce qu’elle est censée être le personnage principal du roman. Pourtant, elle intervient peu dans l’histoire. Quasiment toutes ses interventions sont anecdotiques. Les scènes de discussions avec ses copains et copines sont presque aussi passionnantes qu’un épisode de Plus belle la vie.
Pourtant, Sarah cache un secret terrible qui la lie aux deux victimes et au tueur en série. La révélation de ce mystère est le seul moment vraiment surprenant du roman. Aubenque fait alors entorse à son objectif d’écrire le thriller le plus banal possible. Mais rassurons-nous, la phase d’étonnement est vite passée. Cette révélation inattendue, qui tombe comme un cheveu sur la soupe, n’est qu’un outil utilisé par l’auteur pour faire de la jeune femme la proie suivante du tueur. Cela dit, comme c’est une proie nullement horrifiée puisqu’elle ne s’attend pas à se faire tuer, le lecteur ne l’est pas non plus. Ouf ! Il est toujours dommage de frémir en lisant un thriller.
Malgré tout, il possède ses zones d’ombres. Il a fait arrêter le tueur en série Ray Snider lorsqu’il travaillait à Seattle. C’est d’ailleurs le fait marquant de sa carrière. Mais la traque de Ray Snider l’a bouleversé et c’est ce qui l’a finalement décidé à quitter la police et sa petite amie. L’auteur ne donne aucune indication sur l’affaire Snider. Ce n’est qu’un détail, vous comprenez. Ce n’est pas comme si c’était la seule chose qui rendait le personnage de Logan potentiellement intéressant.
Mais ce mystère entourant Logan est certainement voulu. Aubenque a probablement prévu d’écrire d’autres fascinantes aventures de Logan, au cours desquelles on en apprendrait plus sur ce personnage et son passé. Pour le coup, cette idée fait froid dans le dos.
Sa profession explique sa perspicacité (ou vice-versa), sans aucune mesure dans toute l’espèce humaine. Rapidement, on se rend compte que c’est le personnage le plus important du roman. En effet, Hurley fait avancer l’enquête à elle toute seule. Au cours d’interrogatoires formels ou informels, elle va être capable de découvrir les secrets inavoués de nombreux personnages. Mais sa perspicacité n’a d’égale que son empathie naturelle qui lui permet de retourner ses ennemis pour en faire ses amis.
La relation entre Hurley et Logan est exploitée au maximum. Ils sont évidemment toujours amoureux l’un de l’autre. Mais à cause de l’affaire Ray Snider, le sherif refuse de se remettre avec elle… Aubenque prouve en tout cas qu’il a le potentiel d’un maître du roman sentimental. Le tiraillement amoureux des deux personnages relègue ceux des personnages des Feux de l'amour à de piètres histoires romantiques pour adolescents. Et ce mystère autour de l’affaire Snider, encore une fois, obscurcit pleinement le récit. L’auteur, en expert du suspense maintenu jusqu’à l’après-dernière page, abandonne son lecteur dans des abîmes de perplexité desquels il ne reviendra pas.
Le méchant (j’allais oublier le méchant…) de 7 jours à River Falls est également un personnage secondaire. Bien qu’il soit un tueur impitoyable, il n’impressionne aucunement le lecteur. L’auteur évoque son passé dans des chapitres destinés à appâter son public. On découvre alors tous les secrets du personnage qui en perd son mystère, et avec, son pouvoir de terroriser le lecteur. Tant mieux, 7 jours à River Falls est un thriller, il n’est pas censé faire peur.
Ainsi, Aubenque se livre totalement. On sait tout de ses goûts (ou dégoûts) cinématographiques et télévisuels : Les Simpsons, Les Experts, le film Collision… Les sources d’inspiration de l’auteur sont étendues. Elles sont aussi incommensurables, ancrant 7 jours à River Falls dans un flux temporel inamovible, avec des références que le temps n’érodera jamais. Il serait dommage, en effet, que dans cinquante ans, dans cent ans, les lecteurs de ce chef-d’œuvre ne puissent comprendre les Etats-Unis que nous décrit l’auteur.
Ce dernier, Calmann-Lévy, sort immanquablement grandi de cette publication audacieuse. Son exigence éditoriale s’affirme pleinement à travers elle.
De son côté, Aubenque puise au fond de ses entrailles, de sa sensibilité exacerbée et de ses relations éditoriales la force de continuer à écrire, mauvaise critique après mauvaise critique. On ne peut que le féliciter pour sa ténacité. Après tout, il prouve, livre après livre, que la qualité (des ventes) d’un roman n’a rien à voir avec le talent de l’auteur…