Révolte sur la lune

Révolte sur la lune est un des ouvrages les plus connus de l’auteur d’Étoiles Garde à vous ! (Starship troopers). Initialement paru en 1965, ce roman a été le quatrième de Robert Anson Heinlein à remporter un prix Hugo sous son titre original : The Moon is a harsh mistress. Traduit en français dès 1971, ce texte a fait l’objet de plusieurs éditions : chez Opta, Livre de Poche, Pocket, Terre de Brume, et aujourd’hui, chez Gallimard, Folio SF, dans une traduction révisée et sous une couverture illustrée par Yann Tisseron.

Je chante avec toi, liberté !

Les détenus envoyés en exil dans la colonie lunaire y ont fondé une société coupée de la Terre où règnent des règles particulières. Manuel, Lunatique de la troisième génération, est le seul informaticien apte à s’occuper de Mike,  l’ordinateur central qui gère la quasi-totalité de la vie locale, des communications téléphoniques au chauffage des habitations, en passant par la paie des fonctionnaires et la fourniture de l’air. C’est donc lui qui assiste, aux premières loges, à l’éveil du superordinateur et à son accession à l’humour. Lorsque, par hasard, Mannie se découvre des élans révolutionnaires, Mike lui prête la puissance de ses processeurs et l’étendue des connaissances emmagasinées dans sa mémoire et l’aide à concevoir avec le vieux Prof et la belle Wyoming le plan de libération de Luna.

Allo ! Allo ! Monsieur l’ordinateur.
Le personnage principal de Révolte sur la lune c’est, non pas Mannie, le narrateur, mais Mike, l’ordinateur. Présent à toutes les étapes de la révolte des Lunatiques, il gagne en humanité, au fur et à mesure du récit, de même que Charlie gagne en intelligence dans le roman de Keyes écrit à la même époque.
Comment une machine devient-elle humaine ? ou plutôt, comment une intelligence artificielle parvient-elle à la conscience ? La réponse d’Heinlein, simpliste, se base sur la taille du système et le nombre de ses connexions. La multiplication des tâches et des liaisons, ainsi qu’une pointe de hasard seraient à l’origine de l’éveil de Mike.
 Humour, finesse, perfection dans l’imitation de l’homme, viennent compléter sa puissance et sa rapidité de calcul. Il ne reste plus qu’à l’éduquer, comme un enfant à qui il convient d’indiquer des limites et d’inculquer les nécessités de la vie en société.
Mannie, prend à cœur ce rôle d’éducateur et s’émerveille, autant qu’il s’effraie, de la puissance de cet ami mécanique avec qui il sera constamment en liaison téléphonique.

Dans un État proche de l’Ohio
Plus qu’une histoire d’ordinateur, Révolte sur la lune, apparaît comme un traité de philosophie politique. Tout démarre dans une société lunaire quelque peu utopique où la rareté des femmes a naturellement conduit à l’adoption de règles non écrites, ainsi qu’à une organisation des cellules familiales présentée comme idéale. Les co-maris s’aiment et se partagent femmes et responsabilités. La société lunaire est, dans cette configuration, apolitique. C’est au moment de faire la révolution que s’exposent différentes doctrines politiques. Le Parti décrit comme quasi communiste a la vue courte et la rhétorique  risible (« au coude à coude »), mais son rôle comme point de départ d’une conscience politique est reconnu. Prof, le spécialiste de l’histoire humaine, présente, quant à lui sa tendance politique : l’anarchisme rationnel, qui semble pouvoir s’accommoder de toute situation.
Suite à l’exposé théorique, viennent les expérimentations diverses. Surgissent alors des questionnements plus concrets sur les modes de gouvernements à privilégier. Monarchie ? Pseudo-démocratie ? Régime parlementaire ?  une assemblée unique ? deux chambres ? avec ou sans impôts ?
Malgré une tendance à revenir aux modèles et symboles des États-Unis d’Amérique, Heinlein balaie dans son récit l’histoire des révolutions et des régimes politiques de l’occident. Il parvient à le faire sans lasser ni paraître donner de leçons.

Cette prouesse est ce qui conduit au constat que plus de quarante ans après, Révolte sur la lune reste parfaitement lisible. Le futur décrit par Heinlein est certes, daté, mais il n’est qu’un prétexte à  l’examen d’un passé qui reste instructif et de questionnements intemporels sur la liberté, la guerre, l’engagement politique.