Trois ans après
Le secret de Nikobus Kéton, voici le deuxième épisode de la série
Doménico parue chez TartaMudo (alias José Jover Éditions). Cinq tomes 1 et un tome 2 parus début 2009. Un signe de bonne santé pour ce petit éditeur ambitieux et novateur. La première série de Jeff Baud, ex-dessinateur de dessins animés français et américains, s’étoffe. Dans le premier album, le décor était planté. Les protagonistes, le nain Doménico, son hibou Biviziki, l’Indien One-Tooth, l’élégant renard Firefox, les sorcières Mannebraise et leur nièce Isabeau, le chevalier Dietrich de Stolein partaient à la recherche du médaillon qui, seul, permettra de déchiffrer le secret de Nikobus Kéton, le moine savant qui peut traverser le temps.
Présentés dans les avant-pages, à la manière d’Astérix, le lecteur retrouve, trois ans après, son groupe de personnages tout à leur quête. Pour ceux qui n’auraient pas lu le premier album ou dont la mémoire serait défaillante, un résumé de l’album précédent tient en deux tiers de page. Ce nouvel épisode commence dans la demeure de Maître Renard, où de nouveaux personnages viennent en renfort, car la lutte contre les Frères du Sommeil s’annonce plus difficile que prévue.
La confrérie encombrante de Nikobus Kéton Le nain Doménico raconte à trois enfants tout ouïe la suite de ses aventures à la recherche du médaillon Gorik.
Doménico et ses compagnons sont réunis dans le manoir perché du riche Firefox, le renard. Deux lords détectives très britanniques, Madame Marembert et l’une de ses danseuses les ont rejoints. Les lords ont mené leur enquête : les Frères du Sommeil apparaissent à la fin du XVème siècle. Ces spadassins élégants, le visage caché derrière un masque vénitien, protègent fanatiquement un moine nain à qui ils vouent leur existence. Ils semblent avoir le pouvoir de voyager dans le temps.
À cette évocation, l’Indien One-Tooth soupçonne la marchande de souvenirs qui détenait le médaillon. Il décide de se rendre à Dingobart, mais, sur la route, il est pris en otage par les Frères du Sommeil. Dès lors, Doménico et ses amis n’auront qu’une hâte : délivrer One-Tooth et en découdre avec les voyageurs temporels de carnaval. C’est à l’occasion du festival des Psycholores de Dingobart que la rencontre finale aura lieu.
Baroquement beau Dans ce deuxième album, Jeff Baud prolonge son pari : mélanger les styles (quasiment un style graphique par personnage principal) et les époques (du Moyen-âge au futur). Et si ça ne suffisait pas, il ajoute des touches féériques avec l’apparition d’un djinn aladinesque en forme de loup géant. Ou encore une touche de SF : le dialogue entre Nikobus Kéton avec le grand Ancêtre des Fumées, sorte de Dieu alien dolicéphale, dans un passé ou un futur lointain. Quand on complète avec les détectives tout droit sortis du XIXème siècle et le spectacle mental des Psycholores, on obtient une BD néobaroque qui devient un vrai challenge. Le dessinateur, Jeff Baud, s’en sort parfaitement, mais le scénariste, Jeff Baud, a un peu de mal à suivre.
On atteint un peu la limite en nombre de personnages signifiants pour le récit. Le héros (Doménico) ne semble pas avoir une grande envergure psychologique et morale. Il est moins intéressant que ses compagnons. Heureusement, un artifice (le médaillon a été fabriqué par des nains) va lui redonner un peu de lustre. Pas toujours très utiles sur le plan de l’intrigue, des séquences d’action entières, très agréables visuellement, sont sans parole. Les cases occupent une grande partie de la page. À d’autres moments, les planches sont bavardes. Les personnages sont à l’étroit dans leur case et des explications importantes pour le déroulement du récit sont fournies à la mitraillette dans une seule bulle. Certaines scènes, comme celle du loup-djinn, viennent alourdir le scénario et paraissent vraiment saugrenues. On aurait préféré un découpage du récit plus efficace.
C’est dommage parce que la mise en page est réfléchie. L’emboîtement des cases est inventif. Cette fois-ci, les approximations graphiques (proportions) du tome 1 ont disparu. Les pleines pages sont réussies (même si le style de deux d’entre elles s’écarte trop nettement du reste). On a même droit en milieu d’album à une double page vénitienne. La maîtrise graphique des personnages et des expressions est toujours de haut niveau. Les scènes de combat à cheval sont vraiment excellentes. On a le droit de les regarder plusieurs fois pour le plaisir. Les couleurs sont plus vives que celles du tome 1. En dépit du baroque graphique, qui peut déconcerter au premier regard, le rendu visuel est très plaisant.
L’album mérite un label HQG (Haute Qualité Graphique), mais le découpage (le rythme du récit et le choix de la taille des cases notamment) est un ton en-dessous.
Pas d’inquiétude, contrairement aux héros en butte avec la Confrérie, le lecteur ne luttera pas contre le sommeil. Vos yeux vous réveilleront et l’intérêt pour la quête de Doménico ne faiblira pas en fin d’album puisque l’auteur nous met en appétit avec un certain monstre, Malouk Beel, qui sera au centre du prochain album.