Exoplanète
Sa thèse sur « une approche des processus de genèse et d'évolution des magmas basaltiques en contexte intraplaque océanique dans les forages d'Eiao et de Mururoa » ne le destinait pas particulièrement à mettre en scène des astronomes et des astromathématiciens dans son premier roman SF. Après avoir achevé un cycle des saisons d’Ys, une sorte de polar fantastique sur fond légendaire celte, Martial Caroff (à ne pas confondre avec André, l’un des ex-piliers de Fleuve Noir) tourne le regard vers le ciel. Il nous livre un roman décalé par rapport à la production SF courante, à mi-chemin entre le docufiction et l’intrigue fantastico-historique à la Da Vinci Code. Il n’est d’ailleurs pas catalogué dans la collection « Poussière d’étoiles » dirigée par Sébastien Guillot mais figure dans la même collection que des ouvrages tels que « Les vampires du Finistère », « Cheun de Plougastel, galérien » ou « L’enfant du 8 mai chausse du 45 ».
De la « hard science » comme il s’en écrit peu en France. Un mélange de « hard science provinciale », puisque le roman met volontairement en scène des personnages ancrés dans leur terroir, et de « hard science internationale » puisqu’il aborde des thématiques clés de l’histoire universelle. L’absence de références à l’univers littéraire SF et aux contraintes du genre en fait un livre singulier, difficile à classer. Disons que sur le fond le livre est de l’anticipation scientifique (dans la tradition d’un Jules Verne, par exemple). Sur la forme, il n’a pas grand-chose à voir avec le genre SF. Une œuvre insolite, par conséquent, qui méritait toute notre attention.
La thématique centrale est d’actualité : comment détecter une exoplanète habitée ? À cette interrogation, Martial Caroff en ajoute une deuxième : mais que se passerait-il si elle nous avait détectés depuis des milliers d’années ?
La préface d’Alain Cirou, directeur général de l’Association Française d’Astronomie et rédacteur-en-chef du magazine Ciel et Espace, donne, à ceux qui en auraient douté, une caution aux fondements scientifiques du roman.
Plaidoyer pour l'interdisciplinarité
Le 12 janvier 2030, une nouvelle étoile est apparue dans la constellation d’Orion dans le prolongement des trois étoiles du Baudrier (« Les rois mages ») : alpha 2 Orionis.
Cet événement va réunir des personnages qui n’étaient pas forcément faits pour se croiser : Astrée, astronome à l’Observatoire de Meudon, Marc, son nouveau compagnon, libraire incollable sur Tintin et les livres rares, Célestin Morgenstern (« Etoile du Matin » en allemand) le patron d’Astrée, Jacques Kieffer, égyptologue attiré et piégé par la Nubie, Felipe Rojas, fin connaisseur de Thomas More, Mathieu Matricon, médiéviste breton.
Ces experts réalisent vite, en effet, que cette nouvelle étoile est déjà apparue plusieurs fois dans l’histoire récente de l’humanité. À des intervalles réguliers. Et comme ils ont tôt fait de constater qu’il ne s’agit pas d’une étoile, les supputations vont bon train…
Le message stellaire d’Orion
Ce roman devrait plaire à tous les amateurs d’astronomie et d’astrophysique ainsi qu’aux lecteurs de Tintin, nostalgiques de « L’étoile mystérieuse ». En forme de clin d’œil, l’auteur avoue y avoir puisé une des sources de son inspiration. Marc, un libraire érudit joue le rôle du journaliste candide. Il se retrouve, grâce à Astrée, au pays des astronomes dans un grand observatoire français et aide les meilleurs experts du pays à décrypter le mystère d’alpha 2 Orionis. Toute l’intrigue est centrée sur la découverte du message caché derrière le signal stellaire. Pas de gangster, pas de maladie contagieuse, pas de risque pour l’humanité, pas d’enjeu d’argent ou de pouvoir. Même Hergé avait dû y sacrifier. Martial Caroff nous concocte une scénarisation abstraite, comme il ne s’en fait plus depuis longtemps dans les best-sellers. Voilà qui augure généralement d’une lecture ennuyeuse. D’autant que l’auteur se veut par moment délibérément et maladroitement didactique : quels sont les méthodes pour statuer sur une étoile, pour détecter une exoplanète, etc.
Malgré tout, même si l’intrigue reste abstraite, Martial Caroff a usé d’un trésor d’ingéniosités pour lier des événements, des époques a priori sans rapport. Les bizarreries d’Orion à travers l’histoire. Le fait est que les trouvailles sont plutôt bonnes et plus crédibles que celles de Dan Brown sur le Prieuré de Sion. Entre les rois mages, la légende d’Arthur, les astronomies monastique et chinoise, les gravures d’Holbein pour l’Utopie de More, nous finissons par voir de l’Orion partout. Au-delà de la constellation du chasseur, Martial Caroff adopte avec originalité les conditions d’un dialogue interespèces à travers l’espace. Son final, original, est plus crédible que celui du film Contact de Robert Zemeckis (ou le roman éponyme de Carl Sagan), gâché par la rencontre fumeuse entre Jodie Foster et une intelligence extraterrestre. Maintenant, c’est clair, s’il fallait faire du roman, la base d’un film grand public, il faudrait changer le titre. « Exoplanète » n’est pas très vendeur et ne correspond pas vraiment au contenu du roman. Il faudrait pimenter le scénario, épaissir la trame et reprendre des dialogues un peu naïfs.
Au total, ce livre ne décevra pas les amateurs de hard science : de très bonnes idées, de l’érudition, des fondements scientifiques solides, des personnages crédibles, une intrigue abstraite, mais passionnante pour ceux qui ont les yeux tournés vers les étoiles.