Les Jardins de Klarkash-Ton
Co-fondateur avec Philippe Dougnier de la maison d’édition la Clef d’argent, Philippe Gindre a publié un roman, une anthologie et des novellas, parmi lesquelles Abandon ou L’Affaire Bellocq. On lui doit aussi des traductions des œuvres de l’écrivain californien Clark Ashton Smith, dont Nostalgie de l’inconnu et Le mangeur de Hachisch. Né à la fin du 19ème, cet auteur célébré par Lovecraft publia de nombreuses nouvelles fantastiques à l’écriture singulière et raffinée. Ainsi, dans son essai Les jardins de Klarkash-ton, Philippe Gindre analyse l’esthétique végétale de cet auteur qui avant d’être écrivain fut cueilleur de fruits, bûcheron, gâcheur de ciment, jardinier et mineur……entrons dans la serre littéraire de Smith…
Un univers foisonnant
Sont-ce les douces étendues gazonneuses et les parterres proprets de la Californie qui ont inspiré à Smith ses mystérieuses créatures florales ? Non. Ses plantes aux allures tantôt humaines ou animales sont tout sauf décoratives. Encore mieux, elles ont une âme…et c’est dans des zones vertes non identifiées, souvent géantes, que les personnages se perdent, s’enivrent où s’enlisent, c’est selon. Au fil de compositions vives et touffues comme un tableau du douanier rousseau, on plonge dans un univers merveilleux où Alice aurait sans doute aimé se promener, ou bien Blanche-Neige fuir, enlacée par quelques branches d’ébène. Mais l’œuvre de Smith, aux influences multiples, ne résonne pas seulement avec les forêts des contes de fées. Pionnier de la dark fantasy, baudelairien convaincu, son écriture riche et sophistiquée délivre des visions hallucinantes évoquant aussi bien les jungles musicales d’Alejo Carpentier, des femmes fleurs aux allures de vamps décadentistes, les tableaux d’Arcimboldo ou bien encore les jardins des récits licencieux du XVIIIème, ou les princesses en déroute caressaient des fleurs cachant de vilains génies libidineux…
Tumeurs végétales
Car sous ses atours parfumés et ses feuilles graciles, la flore de Smith peut se révéler carnivore, vénéneuse et tentaculaire. Ses tiges étranglent, ses pétales cachent des immondices, son suc empoisonne, et surtout elle croît infiniment, rampe, rampe comme une menace telle la débauche de chlorophylle de la semence de Mars, qui se propage comme une gangrène, et dont on ne voit ni le début ni la fin…Car c’est bien là le secret de l’horreur végétale. L’étrangeté dans la confusion des formes. L’abstraction à force de profusion. L’inconnu. La peur.
Ainsi, grâce à de longues citations et des analyses concises et accessibles, Philippe Gindre nous introduit dans le cœur vert d’un auteur passionnant, et sans doute inconnu pour bien des lecteurs. A noter dans la même collection, deux autres essais portant sur le même univers: Les mondes perdus de Clark-Ashton Smith , écrit par Jean Marigny et Clark-Ashton Smith, poète en prose, de Donald Sydney- Fryer.