Les 1001 guerres de Billy Milligan
L'auteur du classiquissime Des fleurs pour Algernon revient chez Interstices avec une suite au destin éditorial insolite des 1001 vies de Billy Milligan. Si l'essai romanesque – façon De sang froid raté – sur la vie de William S.Milligan, l'un des plus spectaculaires sujets du syndrôme de personnalités multiples , avait passionné en Anglo-saxonnie, la suite de ses déboires n'a, à ce jour, toujours pas trouvé d'éditeur là-bas. Après la Thaïlande et Taïwan, la France est donc le troisième pays à publier ces 1001 guerres. Un inédit "++", en quelque sorte. Ce qui lui confère une aura de curiosité mais qui ne suffira toutefois pas à le rendre indispensable.
"Mais quand dont qu'c'est que l'malheur arrêtera de s'acharner sur la famille Gaillard"
Accusé de trois lamentables viols, William S.Milligan est arrêté à Columbus, Ohio, en novembre 1977. Très vite, on diagnostique chez lui un syndrome particulièrement aigu de personnalités multiples. Vingt-quatre "Habitants" se partagent la conscience du jeune homme.
Il a la chance de se trouver rapidement pris en charge par des thérapeutes qui croient fermement à sa pathologie et qui vont tenter de l'en guérir. Ce n'est cependant pas le cas d'un certain nombre de personnes de l'administration judiciaire, qui, tout au long de l'instruction ne verront en lui, au mieux, qu'un schizoïde, au pire, un simulateur particulièrement adroit. Son acquittement pour irresponsabilité au moment des faits va lui attirer de solides inimitiés qui vont le poursuivre durant plus d'une décennie. Celle-là même que Keyes retrace dans ce deuxième volume aux allures d'addendum.
Nous avions laissé Billy Milligan en 1979, au moment où le tribunal de Columbus venait d'ordonner son transfert à l'hopital pour malades dangereux de Lima. C'est exactement là que nous reprenons le fil de l'histoire. Unité plus carcérale que médicale, il va y faire la connaissance d'une équipe de salauds je-m'enfoutistes et corrompus, menés à la baguette par le Dr Lindner, qui d'entrée avertit Milligan qu'il ne croit pas au SPM. C'est ainsi que débute une guerre d'usure contre l'état de l'Ohio et l'administration médicale qui nous mènera en 1993, date de sa relaxe définitive.
Entretemps, les avanies que Billy Milligan aura à subir ne nous ferons échapper à aucun des poncifs du genre. Harcèlement, iniquité, passage à tabac, etc... bref, bien du malheur... bien du malheur.
On ne peut pas avoir de la chance tout le temps.
Avec ce troisième "roman", Daniel Keyes confirme ce que l'on avait déjà soupçonné à la sortie des 1001 vies de Billy Milligan. En dépît d'une chaire de création littéraire à l'université de l'Ohio dont il est titulaire depuis fort longtemps, il est bel et bien – un peu comme Joe Haldeman ou Ira Levin – un auteur médiocre qui restera l'homme d'une seule fulgurance de génie. Quelle fulgurance, il est vrai, mais ce n'est plus, et depuis longtemps, Des Fleurs pour Algernon qu'il nous appartient de juger. Or si, indiscutablement, les 1001 vies trouvaient leur place dans la collection Interstices de Calmann-Lévy, on se demande bien ce que les 1001 guerres vient y faire.
Même s'il était raté, le premier volume de ce dyptique fallot s'appuyait au moins sur l'alibi d'une tentative "à la Capote". Il n'en est plus rien avec ce second opus. Keyes abandonne ici toute ambition littéraire, pour se contenter d'un livre de témoignage écrit sans génie dans une langue morne. De fait, si la première fois il était parvenu (même mollement) à personnifier chaque "Habitant", il se contente ici de faire oublier l'incroyable pathologie de Milligan qui se retrouve réduite à une donnée factuelle sous-exploitée. Pire ! La platitude de la narration finit par faire passer pour de la normalité cette anormalité extrême. Un comble !
Si donc la volonté, légitime, de répondre à une attente des lecteurs qui avaient aimé Les 1001 vies de Billy Milligan (et l'espoir de capitaliser sur un joli succès d'office), ne justifiait la présence des 1001 guerres de Billy Milligan chez Interstices, on se serait plus facilement attendu à le voir publier chez Plon, entre la bio d'un people quelconque et le témoignage d'une mère prostituée droguée au crack qui s'est battue pour donner un rein à sa fille malade. Ce qui explique aussi, ce singulier destin éditorial évoqué plus haut. Si le livre de Keyes n'a pas trouvé preneur aux États-Unis, c'est peut-être, tout simplement, parce qu'il n'est pas assez bon – ou pas tout à fait assez putassier. C'est peut-être, d'ailleurs, la seule justice que l'on puisse lui reconnaître.