Parce que le paradis n'existe pas...

Après un diplôme d’arts appliqués et de design industriel, Damien Marie, coloriste et scénariste, travaille en cabinet d’architecture, puis se lance dans la bande dessinée. Il est l’auteur, entre autres, de La Cuisine du Diable, une tétralogie portant sur la prohibition aux Etats-Unis (éditions Vent d’Ouest) et de la série Ceci est mon corps (Bamboo). Les dessins de Parce que le paradis n’existe pas sont signés Vanders, diplômé d’art appliqué à Roubaix et illustrateur pour les jeux vidéos, qui a déjà collaboré avec Damien Marie sur Règlements de contes, publié aux Editions Soleil, et Welcome to hope paru également chez Bamboo.

Bienvenu dans le réel. Le « roman graphique » de nos deux acolytes raconte l’itinéraire existentiel de Fabien, 36 ans, au chômage, qui quitte sa petite amie et part se réfugier chez ses parents à Granville, dans un lotissement lisse où règnent les nains de jardin. Fabien n’est pas en forme. Lassé par la vie, épuisé par son travail d’acheteur dont il vient d’être licencié, il tente d’échapper à l’indicible parfum d’échec planant sur les repas familiaux en prenant le chemin de la forêt avoisinant la maison. Une forêt pas comme les autres, qui va le révéler à lui-même…

La guerre des boutons

Par son regard et son monologue intérieur, Fabien compose une élégie aux terres boisées de son enfance. Ses pierres millénaires, la symphonie des feuilles et du vent, le plongent en extase. En courant sur les pas du passé, il retrouve le corps de ses 10 ans, comme par magie. Rêve, hallucination, ou réalité fantastique ? Peu importe. Il retrouve ses amis, Alex en tête, alias «  les Apaches », avec qui il mène une bataille sans merci contre les « Yankees », les grands, ceux qui veulent s’accaparer la forêt qui leur appartient.

Et c’est parti. Comme dans le célèbre film d’Yves Robert, les deux groupes de garnements se battent pour défendre leur territoire avec force embuscades, coups fourrés et résistance improvisée. Se tenant d’abord à l’écart de la bande, Fabien doit retrouver son souffle pour s’intégrer, accomplir les rituels, et prouver qu’il est croix de bois, croix de fer. Il s’amuse et vibre. Il revit. Grâce à ce voyage dans le temps, il retrouve ses forces vives et qui sait peut-être le sens qui apportera du renouveau dans sa vie future. C’est alors que l’album prend un tour initiatique. De fil en aiguille, il comprend que s’il est revenu là, c’est pour retrouver Alex, la plus terrible de la bande, celle qui deviendra plus tard sa petite amie.

Un traitement original et sensible

L’esthétique de l’album, en noir et blanc, est cohérente et soignée. Le lotissement délicieusement morne et fade réduit à des variations sur le gris, et le joli clair obscur de la forêt chatoyante, entre ombre et miroitements de lumière, construisent un univers plastique fort. À noter également, la singularité de l’ouvrage, puisque la BD est suivie d’extraits du roman de Damien Marie, base du projet, et dont la version intégrale est téléchargeable sur internet. Les passages littéraires sont accompagnés par les photographies de la forêt sacrée prises par le héros. Cette formule mixte et transversale, qui permet d’aborder une histoire sous différents angles, gagnerait à être développée par d’autres auteurs.

En somme, un joli moment.