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La Maison aux fenêtres de papier

Thomas Day ( Auteur), Daylon (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 01/03/09  -  Livre
ISBN : 9782070359202
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Audrey   - le 31/10/2017

La Maison aux fenêtres de papier

Écrivain prolifique, Thomas Day est l’auteur d’une cinquantaine de nouvelles et de plus de dix romans. Spécialiste de l’hybride, il mélange space opera et fantastique par une écriture très littéraire. La maison aux fenêtres de papier prolonge une série d’œuvre nourrie de culture asiatique , commencée avec La voie du sabre (prix Julia Verlanger 2003) et sa suite L'homme qui voulait tuer l'Empereur en 2003, se déroulant dans un Japon médiéval. Puis c’est en Thaïlande, au Laos et au Cambodge qu’il nous emmena avec La Cité des crânes. Enfin, il a publié à quatre mains avec Ugo Bellagamba L'école des Assassins ayant pour cadre Hong-Kong.

 

 

There will be blood

 

 

En guise de prologue (puis d’épilogue), Thomas Day raconte les légendes de l’Oni-no-Shi, et ses sanglantes guerres de clan sur fond de mythes fantastiques dans le lointain royaume de Bokor. Cette mise en bouche originale plante le décor, et annonce ce qui va suivre, l’histoire centrale du livre se déroulant dans les années 2000, où Sadako, femme panthère, épouse et chose de Nagasaki Oni, (un démon qui n’est autre que le boss des boss de l’archipel du sud nippon) prend les rennes de la pègre japonaise après avoir trucidé dans les règles de l’art son violeur de mari. Mais au-delà de la nouvelle mission qu’il lui est assignée, perpétuer et agrandir le domaine de celui qui l’a souillée et qu’elle a tant aimé, Sadako a un autre objectif, récupérer leur fils, qui est entre les mains de l’autre démon frère du premier, un dénommé Hiroshima Oni, maître de la faction adverse, qui a pour projet de redresser le Japon et la planète entière en le purgeant de ses « deux milliards d’individus faibles ».

 

 

Des îles désertes et tranquilles de l’archipel d’Okinawa aux bas fonds de Tokyo, on découvre avec la novice Sadako l’éventail des rituels et coutumes yakuzas : code d’honneur,viols , idées d’extrême droite, seppuku, tortures, scènes gore à souhait, rien ne nous est épargné. Pour illustrer tout cela, Thomas Day truffe son récit de références cinématographiques. Plages désolées de Sonatine  (Kitano) , héroïne ultra puissante façon Black Mamba (Kill Bill), le livre reprend plus largement la violence et la crudité des films cultes de Fukasaku Kinjii et Takashi Miike, dont l’auteur revendique par ailleurs ouvertement l’influence.

 

 

 Fidèle à son cheval de bataille, le mélange des genres, Thomas Day appose avec audace le style très littéraire des mythes des deux récits d’ouverture et de clôture avec l’écriture beaucoup plus âpre et cinématographique du récit central. Les deux légendes de L’histoire de l’Oni-No-Shi, véritable exercice de style, sont en effet écrites à la manière d’un conte résonnant avec des éléments aussi divers que l’épée du Graal et la guerre de Troie, le tout fondu dans un  royaume de Bokor fantasmé (Cambodge actuel) dont Day s’approprient et réinventent le temps, l’espace et les codes. Sa plume épique et brillante, annonce néanmoins dès le premier récit la crudité et le motif de la femme souillée, sacrificielle, presque en offrande, qui sera à l’œuvre du reste de l’ouvrage, avec la présence d’une mère qui couche avec un régiment en vue de former une armée pour libérer son fils.

 
 

À l’inverse, l’utilisation du présent, les longues scènes d’action et le langage plus familier confèrent à l’histoire centrale de La maison aux fenêtres de papier une allure plus cinématographique que littéraire, comme en témoigne la première scène, où le narrateur décrit brièvement et nomme les quatre « mousquetaires » de Saduko, à la manière des films de Mafia qui présentent leur bande à l’aide de l’arrêt sur l’image de chaque membre avec leur surnom en surimpression. . Fidèle à son projet, Day rend effectivement un hommage au cinéma, mais l’écriture est moins originale et brillante que celle du conte en deux parties.

 

 

Regards sur l’univers yakuza

 
 

L’originalité scénaristique consiste à placer une jeune femelle mi-humaine, mi-animale, débutante et mère à la tête de l’organisation. La singularité de son regard permet de faire ressortir la cruauté et l’absurdité de l’univers où elle est condamnée à évoluer. Ce sont aussi les concepts « philosophiques » nourrissant ce monde bien particulier qui sont évoqués au fil de ses longs dialogues avec Wei, l’un des quatre d’Artagnan chargé de superviser son apprentissage. 

 

 

Ce parcours , qui prend parfois un tour didactique (on trouve même un petit encart historique) est peut-être l’intérêt le plus fort du livre, car bien qu’étant une fiction, l’ouvrage ne fait que parler de la pègre japonaise contemporaine, la vraie, celle qui explosa à partir de 1945. Habilement, il en restitue la tragique origine en érigeant en « monstre »  ses deux principaux chefs, Boss Nagasaki et Boss Hiroshima, qui ne sont autres que l’hyperbole des deux monstres engendrés par les États-Unis, les deux bombes qui précipitèrent le Japon dans la défaite. C’est en effet lors de l’occupation américaine que les Yakuzas vont se multiplier, faire du trafic de drogue avec l’armée, puis profiter du chaos post bombe pour piller, s’accaparer des terres, faire fleurir le marché noir et servir le gouvernement pour lutter contre les mafias extérieures  tentant de s'implanter dans l'Archipel, ainsi que contre la grève et la menace communiste voisine.    

 

Par son esthétique hybride et son travail de documentation, ce roman sera très apprécié de tous les amateurs ou autres curieux de découvrir en profondeur l’univers des terribles Yakuzas.

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