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Les Diables blancs

Paul J. McAuley ( Auteur), Bernard Sigaud (Traducteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/04/09  -  Livre
ISBN : 9782253096757
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Eric   - le 20/09/2018

Les Diables blancs

Des six romans qu'a publiés ce sémillant Britannique, c'est Féeries qui avait soulevé le plus d'enthousiasme chez la critique. Assez coupablement on avait, à l'époque, préféré excuser son intrigue bordélique pour louer la profusion éruptive d'idées originales. J'avais pour ma part eu le plus grand mal à ne pas y voir qu'une hystérie agaçante polluée par un style trop présent. C'est donc avec un soupçon d'angoisse que n'atténuaient ni son format, ni sa couverture d'une repoussante laideur que j'abordais Les Diables blancs. J'avais tort, car cette première parution de McAuley chez Ailleurs et Demain est une bonne, et même une excellente surprise.

L'Afrique dans trente ans, telle qu'elle nous est décrite, est plus que jamais un dommage collatéral du monde industrialisé. Ravagée par les épidémies, innocente victime de la "guerre contre la terreur" menée par les Etats-Unis, elle n'est plus qu'une friche politique, condamnée à se soumettre à des chefs de guerre sanguinaires ou à se vendre, état par état, au plus offrant. C'est le cas du Congo Vert, qui s'est livré clef en main à Obligate, une transnationale qui cache son avidité derrière une façade new-age et qui, sous couvert de défense de l'environnement, se livre à un néo-colonialisme implacable. C'est dans cette république en leasing que travaille Nick Hyde. Ressortissant anglais, il travaille pour une ONG qu'Obligate autorise "pour l'image", et dont la sinistre tâche est la médecine légale de masse. C'est une fois encore pour prélever des traces d'ADN qui permettront l'identification des cadavres qu'il est envoyé sur un site "encore chaud".

Sur place, alors que l'équipe est encore sous le choc de la barbarie du carnage qu'elle découvre, elle est décimée par une meute d'humanoïdes blafards, étonnamment rapides et féroces et qui semblent être nés pour tuer. Être nés, ou avoir été créés pour tuer. Car très vite c'est la question que se pose Nick - le seul survivant du groupe -. Des soupçons qui naissent de l'observation du cadavre de "Diable Blanc" qu'il ramène à Brazzaville, et qui sont vite confirmés par le soin qu'Obligate met à étouffer l'affaire.

C'est le point de départ d'une enquête qui mêlera avec un authentique bonheur politique, éthique et manipulations génétiques. Ce dernier aspect, qui conduit l'homme à jouer à Dieu, est le cœur même du roman. La biotechnologie, science mercenaire et principale cause de dévolution scientifique, est décrite avec une crédibilité sans faille. Elle s'intègre au décor avec une perfection presque dérangeante, tant tout cela nous semble vraisemblable.  Il vous faudra peut-être un peu de temps pour vous faire au style vétilleux de Paul McAuley, mais de ses énumérations tout d'abord fastidieuses, naît un monde d'une force de réalisme étonnante. Son sens de l'image qui fait mouche vous plonge au cœur de cette Afrique en perdition, qui est le jouet de forces économiques qui la dépassent et la maintiennent sous le joug d'un colonialisme new-look, certes, mais tout aussi brutal que celui que nous lui avions imposé. McAuley connaît bien cette région du monde, ça se sent, mais plus encore ça se ressent dans le rythme qu'il impose à son histoire.

Une histoire toute simple en fait, dont le cœur est finalement cette créature grotesquement sanguinaire qu'il nous dévoile dès le début. Deux bons tiers du roman tiennent sur une trame qu'on s'attendrait à voir alimenter le scénario d'un quelconque Alligator XXVII ou L'invasion des Piranhas LXXII. Mais justement, la modestie du moteur avec lequel il met en branle cette formidable fiction n'en rend la performance que plus remarquable. Cette simplicité lui permet de développer avec minutie sa vision d'un futur noir, écrasant, prisonnier d'un maëlstrom d'informations, où l'apparence devient la substance. Un monde violent, cynique, mercantile, dont les diables blancs sont le Frankenstein parfait. Un monde, pour tout dire, au réalisme douloureusement probable.

On regrette que, se surpassant dans l'épouvantablement hideux, Jackie Paternoster ait donné un si vilain écrin à ce petit bijou, car Les Diables blancs est sans l'ombre d'un doute l'un des trois ou quatre meilleurs romans de l'année 2005.

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