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Washita 1

Christian Lerolle (Coloriste), Thomas Labouret (Dessinateur), Séverine Gauthier (Scénariste)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/09  -  BD
ISBN : 9782505006091
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Lavadou   - le 31/10/2017

Washita 1

Séverine Gauthier, Thomas Labourot et Christian Lerolle ont l'habitude de travailler ensemble. La première est professeur d'anglais. Les deux autres travaillent au sein de l'Atelier 510 TTC, qui regroupe des auteurs de BD parmi lesquels on compte Jean-David Morvan et Philippe Buchet.

Séverine au scénario, Thomas au dessin et Christian aux couleurs (il appartient au fameux duo Colortwins). Un trio qui a déjà produit quelques séries et albums reconnus : Noodles et Team Galaxie (chez Soleil), Mon arbre (Delcourt, album jeunesse ayant reçu le prix Coup de Cœur du festival d'Ajaccio 2009, le prix BD de l'Aube 2009 et le prix jeunesse 2009 du festival de Chambéry).

Avec Washita, Gauthier aborde un thème qui la passionne, puisqu'elle poursuit un doctorat sur la souveraineté des nations amérindiennes : l'histoire d'une tribu Cherokee avant l'intervention de l'homme blanc.

La tribu des daims en danger

Dans la tribu Cherokee des daims, être chasseur apporte estime et rang social. Equani est le meilleur d'entre eux. Son agilité et sa réussite lui valent des regards amoureux de la part de toutes les jeunes femmes de la tribu. Mais lui est obsédé par une femme qu'il voit en rêve, Washita. Des rêves qui semblent liés au fléau qui touche les daims dont se nourrit la tribu : des taches noires qui rendent les animaux fous et empêchent d'en consommer la viande. Pourtant, Equani n'a de cesse de prier Awi-Usdi, le dieu des daims, à chaque prise, afin de préserver l'équilibre précaire entre le ciel et la terre. Mais cet équilibre semble rompu, et Equani va devoir partir vers l'Ouest pour remonter aux origines de la maladie, et trouver Washita.

Croyances ancestrales et respect de la nature

Avec Washita, Gauthier, Labourot et Lerolle nous plongent dans un monde où se marient les croyances ancestrales et la réalité du quotidien. La présentation de cette culture, qui n'a pas encore été touchée par la civilisation occidentale, est faite de façon si naturelle qu'on ne se pose même pas la question de la comparaison avec notre propre mode de pensée. On l'accepte sans sourciller, car elle est emprunte d'une sincérité que les auteurs ont admirablement bien retranscrite. Respect de la nature, interdépendance de l'homme et de l'animal, rites et coutumes fondés sur cet équilibre précaire : tout est affaire de subtilité. Par exemple, Equani s'interroge sur la recherche de l'origine de la maladie : le simple fait d'entamer cette quête ne va-t-il pas rompre cet équilibre ?

Ce contexte spirituel est véritablement passionnant et aurait pu suffire à bâtir une histoire. Pourtant, Séverine Gauthier a introduit une autre intrigue, nettement moins intéressante et totalement stéréotypée : la jalousie d'un autre chasseur, Asgina, et de sa sorcière de mère envers Equani. Manichéenne, emprunte de clichés éculés, cette seconde ligne de narration fait pâle figure devant la quête existentielle d'Equani. Espérons qu'elle ne vienne pas trop troubler la fable spirituelle entamée dans ce premier tome. D'autant pus que, graphiquement, Washita est une réussite totale.

Dessins stylisés et utilisation optimale des couleurs

Le parti pris graphique de Labourot est particulièrement original : des dessins stylisés, qui rappellent les totems indiens et donnent la sensation, par moments, d'avoir sous les yeux une gravure sur bois. On retiendra ainsi les traits parcheminés des visages des sages de la tribu, qui les rendent presque végétaux. Toutefois, Labourot ne donne pas dans l'expérimental abscons : il allie ce trait stylisé dynamique à un trait plus traditionnel, pour au final obtenir un bel équilibre graphique. On regrettera juste que les visages des jeunes et des adultes se ressemblent un peu tous, en dehors de leurs ornements et de leur pilosité.

Petit détail mais qui prouve le sérieux des auteurs : oubliez vos idées reçues sur l'habitat des indiens. Si l'imagerie collective a imposé ses tipis et ses grands espaces parcourus à dos de cheval (sans doute exacts pour certaines tribus), c'est à pied et dans des maisons en bois qu'évoluent les Cherokee. Le soin apporté aux décors participe ainsi à la surprise du lecteur qui découvre une société différente des clichés du genre.

Ce dessin original et réussi est mis en valeur par une colorisation admirable. Lerolle donne à chaque scène une ambiance particulière en choisissant une unité de tons pour l'identifier : les orange et jaunes de la chasse, représentant l'action et le mouvement ; les bleus et verts sombres de la nuit dans la forêt, conférant aux décors un aspect presque magique... Lerolle joue aussi avec l'alternance de teintes vives et ternes au sein de chaque planche pour offrir des effets de profondeur de champ, donnant à l'ensemble un cachet cinéma que le découpage renforce avec une grande variété dans l'agencement et la taille des cases, certaines étant au format panoramique.

Pour finir sur la qualité graphique de l'album, deux scènes sont immanquables : une double page représentant le rêve d'Equani, au graphisme indescriptible et sublime ; et une scène où Equani rencontre Awi-Usdi, où l'on entend presque le vent souffler dans les feuillages, et qui rappelle le Miyazaki de Princesse Mononoke, à la thématique sensiblement identique sur la cohabitation entre l'homme et l'animal.

Une superbe série en perspective

Washita s'impose ainsi comme l'une des séries les plus originales et prometteuses du moment. Malgré une intrigue scénaristique qui tombe parfois dans le cliché, la plongée proposée par les auteurs dans un univers spirituel et naturaliste où les croyances participent au quotidien sans l'étouffer, offre au lecteur une bouffée de fraîcheur bienvenue. Les choix graphiques et esthétiques, parfaitement adaptés au récit, contribuent à la réussite de ce premier album. Un premier tome, sur cinq prévus, qui laisse présager le meilleur pour la suite.
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