Mathématicien et ingénieur originaire de Liverpool, Stephen Baxter compte parmi les grands auteurs de science-fiction contemporains, de par ses thématiques et son style d’écriture très particulier, qui mélange description scientifique très réaliste, histoire, politique, et projections métaphysiques.
Déluge, qui a été nominé en 2008 pour le
British Science Fiction Award, est son dernier ouvrage en date publié en langue française.
Un monde envahi par les eaux Après avoir été retenue en otage durant cinq longues années par diverses factions extrémistes espagnoles, passant de main en main au gré des courants politiques, Lily Brooke, capitaine de l’armée de l’air américaine et ses compagnons de captivité, un groupe d’otages occidentaux (chercheur, militaire et civils), sont enfin libérés en 2016, grâce au richissime homme d’affaire Nathan Lammockson. Au cours de leur détention, ils ont été coupés de tout, sans même voir la lumière du jour. À leur sortie, le monde a bien changé, et ils découvrent un bouleversement climatique de taille.
En effet, une soudaine montée des eaux a considérablement modifié le paysage planétaire. La Terre subit de très nombreuses inondations et tempêtes, et les eaux continuent de monter inexorablement, augmentant sans cesse le nombre de réfugiés climatiques. Comment l’espèce humaine va-t-elle faire face à ce fléau soudain ? Quel va être le rôle de Lily Brooke et de ses compagnons dans ce contexte de dérèglement général ? Plongé au cœur de conflits mondiaux pour un territoire qui s’amenuise de jour en jour, que va pouvoir faire Nathan Lammockson pour aider les anciens otages ? Qui réussira à survivre, et comment ?
Une thématique convenue, mais abordée avec nuance Stephen Baxter s’attaque à un sujet dans l’air du temps, et qui a fait couler beaucoup d’encre, à savoir la montée des eaux due au réchauffement climatique. On ne compte plus le nombre d’œuvres de fiction qui se sont intéressées à ce sujet hautement politique, devenu aujourd’hui une des préoccupations premières des instances internationales. Mais Stephen Baxter a opté pour une approche différente. En effet, il cherche ici à imaginer un changement climatique global suite à la montée des eaux, qui ne serait pas uniquement dû à l’action de l’homme, même si celui-ci a bien entendu une influence certaine sur son milieu.
S’il ne nie pas les postulats actuels qui rendent l’espèce humaine responsable du réchauffement de la planète, il semble surtout reprocher à certains scientifiques leurs certitudes absolues : «
Un phénomène nouveau, impossible à expliquer par les mécanismes habituels, la fonte de la calotte polaire et l’expansion thermique des eaux de l’océan. Mais ces vieux crabes défendent leur position depuis trop longtemps, et leurs opposants n’ont pas voix au chapitre. Pour eux, toute remise en cause du dogme est une tentative de réfutation. » Quoi qu’il en soit, en dehors de toute considération scientifique sur l’origine d’une éventuelle montée des eaux, l’auteur souhaite avant tout en envisager les conséquences. Pour ce faire, il a réalisé un important travail de recherche pour mettre en place cette simulation.
Une efficacité méthodique… Stephen Baxter nous dépeint ainsi de façon parfaitement crédible une montée des eaux à court terme, submergeant peu à peu tous les continents. Les descriptions sont très précises, et rendent bien compte d’un phénomène face auquel l’humanité serait pratiquement démunie.
Il est cependant fort regrettable que l’éditeur français n’ait pas souhaité reproduire la cartographie fournie par l’auteur dans la version originale du roman. En effet, dans la postface, Stephen Baxter mentionne très clairement des
« cartes incluses dans ce volume ». Pourquoi ne pas les avoir insérées dans l’édition française ? De fait, même si l’évolution de notre monde en fonction de la montée des eaux est brillamment décrite par l’auteur, rien ne saurait valoir une mise en image à travers une cartographie évolutive. Heureusement, grâce au web, le lecteur français peut avoir accès à ces cartes en se connectant sur le site de
Sharperton Systems, réalisé à partir des travaux de Malcolm Burke, qui a lui-même transmis les éléments nécessaires à Stephen Baxter pour ses cartes, comme indiqué dans la postface.
Déluge nous plonge littéralement dans un cataclysme d’une ampleur planétaire, et ouvre une réflexion plus vaste encore sur le chaos et la confusion des sociétés humaines. Évidemment, on ne peut s’empêcher de penser aux longs métrages
Le Jour d’après de Roland Emmerich et
Waterworld de Kevin Reynolds bien sûr, ou encore à
Ravage de Barjavel, et autres romans apocalyptiques. Des populations désemparées tentent ainsi de survivre au jour le jour, en perdant peu à peu tout ce qui fait d’elles des êtres humains, et s’enfonçant progressivement dans l’obscurantisme. Cette trame s'intéresse aussi à la perte de pouvoir des gouvernements nationaux en temps de crise et la création d’autorités de substitution, sur fond de mythes survivalistes et religieux. Le titre du roman est d’ailleurs tout à fait évocateur, et de nombreuses références bibliques ne manquent pas d’apparaître au fil des pages.
… mais sans l’étincelle baxterienne Cependant, dans
Déluge, on ne retrouve pas vraiment le souffle lyrique habituel de Stephen Baxter. Certes, on s’attache aux protagonistes que l’on suit tout au long de la catastrophe… mais au risque de s’aventurer vers l’anecdotique, ce qui paraît parfois déplacé dans le contexte du roman. Alors que les personnages de Stephen Baxter sont habituellement sublimés par leur quête, ce qui les rend tout à la fois familiers et héroïques, les protagonistes de
Déluge sont trop proches du commun des mortels.
Enfin, cet ouvrage présente de nombreuses similitudes avec
Poussière de Lune du même auteur, notamment dans le déroulement du phénomène catastrophique et dans son accélération jusqu’au point de non retour. Mais là où
Poussière de Lune arrivait à nous transporter,
Déluge ne parvient pas vraiment à décoller, en dépit de ses qualités notables.
Une mise en perspective conventionnelle S’il manque à
Déluge un peu du charme habituel des ouvrages de Stephen Baxter, peut-être la dimension épique verra-t-elle le jour avec
Ark, le deuxième tome de cette histoire, déjà paru au mois d’août en langue anglaise : c’est ce que laisse augurer la fin de
Déluge. Souhaitons donc qu’
Ark puisse apporter une profondeur supplémentaire à ce premier récit sans doute trop classique.