L'Art de la Fantasy Gothique
Qu'est-ce que l'art de la fantasy gothique contemporaine ? Et quid de l'art gothique ? Ce livre nous propose plusieurs pistes à suivre, sentiers réservés aux lecteurs avertis, certaines oeuvres pouvant choquer les plus jeunes. Néophytes bienvenus !
Cela commence bien...
Passons sur le premier écueil du livre :
« Le meilleur de l'illustration gothique contemporaine», ainsi que nous indique la première de couverture. Rien que ça. En toute modestie.
Si l'on présuppose que l'illustration c'est de l'art, et que l'art est quelque chose de subjectif; ça me gène un peu de voir ce livre titrer ainsi. D'autant plus que dans les remerciements, Jasmine Becket-Griffith (l'auteur) s'excuse quasiment de n'avoir pu inclure les «nombreux artistes qui mériteraient de figurer dans cet ouvrage». Bref...
L'auteur est une artiste américaine de 28 ans, connue pour ses nombreuses peintures à l'esthétisme bien particulier. On y retrouve des fées et autres jeunes filles fantastiques (Alice au Pays des Merveilles par exemple) tantôt classiques, mais gothiques la plupart du temps; souvent jolies mais dérangeantes... (Cf: illustrations de la préface).
Traduction et avant-propos par Sire Cédric, écrivain de thrillers et de romans d'horreur, édité au Pré aux clercs et chez Nuit d'Avril.
Une excellente préface.
Brom est un artiste aux talents multiples, doté d'un univers ténébreux et perturbant. Peintre, illustrateur (couvertures de romans, cartes de jeux de rôle comme Magic), consultant et designer pour jeux vidéos (Donjons et Dragons, Doom II...) ou pour l'industrie du cinéma ( Ghost of Mars, Sleepy Hollow, Van Helsing, etc...). Ou encore écrivain de romans sombres.
Il signe ici une préface brillante, tentant d'expliquer le plus simplement possible ce qu'est l'art gothique (ne pas confondre avec le mouvement architectural) et pourquoi il est apprécié. Sans artifice ni folklore pour adolescent en quête d'identité, il apporte un éclairage nouveau sur ce courant esthétique et ceux qui l'apprécie (qui ne sont pas spécialement tous névrosés et/ou suicidaires, habillés de noir, sacrifiant des chats les nuits de sabbat).
L'idée du grille-pain maléfique en est un bel exemple... Ce texte devrait être délivré seul et sans ordonnance, juste pour le plaisir de combattre certains préjugés.
Un recueil à la beauté assez éclectique.
Le livre est divisé en chapitres, : Femmes Fatales, Hommes en Noir, Élégance gothique, Goth Indus, Horreur Rampante , Dark Fantasy, Créations d'outre-tombe et BD macabre. Où l'on apprend que l'art pictural gothique ne se résume pas seulement à des représentations de vampires romantiques, un calice de sang à la main.
Différents thèmes et esthétiques sont représentés: "l'inspiration divine" (un grand classique goth) avec Angélique de Linda joyce Franck (huile sur papier) représentant un ange (en extase ?) avec des ailes de corbeau ou encore Vates et Dies Irae de John Abrahamson, sorte d'artefacts religieux au caractère torturé (huile sur panneau en bois passé à la feuille d'or). De même, l'Ange Exterminateur de Myke Amend (oeuvre composite) surprend, même thème religieux mais d'une beauté beaucoup plus trash, brutale.
On peut également citer les impressionnantes photographies en noir et blanc (non retouchées ! ) de John Santerineross, véritables tableaux dont la beauté n'est pas sans rappeler le courant expressionniste du cinéma allemand du début du XXème siècle. Jeunes femmes étranges et sombres, poupées sordides et pantomimes semblent particulièrement l'inspirer.
On retrouve également des oeuvres sensuelles, comme Des roses noires et des morsures de Tom Lavelle, portrait d'une vampire naissante, pouvant rappeler les pin-up, comme une Marylin Monroe brune (crayon et peinture numérique), ou le très fétichiste tableau La femme de chambre de Dorian Cleanvenger (acrylique sur carton à dessin), avec la fameuse Dita Von Teese comme modèle sexy...
De nombreuses techniques pour différentes oeuvres d'art.
L'ouvrage explore également d'autres voies créatrices, comme les sculptures métalliques de Jessica Joslin ou de Christopher Conte, qui donnent naissance aux choses et aux créatures les plus fantastiques.
De même, on retrouve des sculptures de Giger (designer du fameux Alien) ou celles de Joachim Luetke (Thanksgiving) . Beaucoup plus alambiquées, ces autres créations (qui peuvent aussi être regroupées sous l'appellation "sculpture gothique"), sont le fruit d'un travail différent, dans un esthétisme tout autre. Giger nous impose sa vision très spéciale, mélant le plus souvent l'homme et la machine, tandis que Joachim Luetke cherche à marquer les esprits en choquant, dans un but de mémoire, de conservation de l'Histoire. En effet, ses "soldats" mutilés attirent l'oeil et dérangent (hommes-machines ? Cadavres ?). Que l'on aime ou pas, là n'est pas la question semble-t-il.
Des éclairages sur les oeuvres et leur conception.
En légende de chaque oeuvre, nous pouvons retrouver sa composition et les différentes techniques utilisées pour sa création. Nous sommes d'ailleurs en droit de nous demander si un célèbre logiciel n'est pas sponsor du livre, vu le nombre de fois où il est cité.
Mis à part ce détail quelque peu agaçant, le lecteur (même néophyte en terme de création plastique) en apprend un peu plus sur les conditions de conception de chaque réalisation.
Cela peut permettre ( à défaut de l'aimer) de mieux en apprécier la valeur, par exemple en évaluant la difficulté de l'élaboration: les oeuvres de Patrick Arrasmith, ici créées à partir de cartes à gratter, impressionnent par le travail qu'elles ont dû demander. Cette technique est à l'inverse du dessin classique: ici il s'agit de retirer de la matière afin que se dessine l'oeuvre (comme si on gommait une feuille crayonnée de gris, afin d'y retrouver le blanc et qu'ainsi le dessin gris apparaisse. La différence est que la couche de graphite de l'exemple est en réalité généralement une couche de craie grasse.). On ne peut que mieux apprécier le travail et le sens du détail d'Arrasmith, lorsque l'on comprend la précision et le doigté que demandent ses créations. Dommage que cette technique ne fasse pas l'objet d'une explication dans le livre. Néanmoins les nombreux détails expriment à eux seuls le travail accompli.
Un livre accessible à tous.
Un exemple plus simple: la Dame Mort de Laurie Lipton. Il s'agit ici d'un travail au crayon sur papier ! Nul besoin d'être spécialiste pour voir le travail sur la dentelle, les nombreux détails, la précision, la transparence et la légèreté de l'étoffe ainsi obtenus. Sans parler du réalisme du squelette qui la porte... Un travail remarquable, sans aucune aide technologique.
De même, les circonstances de création sont très instructives ! Savoir que telle ou telle oeuvre est inspirée d'un conte ou d'une chanson, d'une émotion précise de l'artiste éclaire sur le processus de création !
Sans parler des différents autoportraits, très éclectiques et propres à leur auteur, aussi surprenants les uns les autres...
Et je pourrais disserter encore et encore sur ce livre, il reste tant de choses à écrire, tant d'artistes qui n'ont été évoqués !
Mais je vous invite plutôt à les découvrir par vous-même car, pour paraphraser Picasso, un tableau (et a fortiori l'art), ne vit que par celui qui le regarde...