Royaume-désuni
James Lovegrove est un auteur anglais diplômé de l’Université d’Oxford, dont les textes dénoncent les travers de notre société contemporaine, tout en restant dans le registre de l’humour. Il est l’auteur d’une bonne quinzaine de romans. Royaume-désuni est le second traduit en français, après Days.
God save the Queen
XXI e siècle : l’Angleterre est un pays exsangue, coupé du reste du monde suite au « Pari malchanceux ». Londres vit en autarcie, quadrillée en secteurs dirigés par différentes bandes rivales. Dans les campagnes, la vie s’organise comme elle peut, au jour le jour, en communautés. Fen Morris, instituteur, et sa femme Moira vivent à Downbourne, petite bourgade non loin de la capitale. Ils y mènent une existence des plus frugales et des plus tranquilles, même si leur mariage bat de l’aile. Mais lors du festival d’été annuel, les « Bulldogs », un des gangs les plus importants de Londres, débarquent en véhicules motorisés, enlevant les femmes les plus jeunes, dont Moira. Après leur départ, Fen décide de se rendre dans la capitale pour tenter de la retrouver…
Une satire sociale
Royaume-désuni (« Untied Kingdom »), porte bien son nom. Le récit se déroule dans un univers post-apocalyptique où l’Angleterre, après un « Pari malchanceux », se retrouve en vase clos, sans contact avec le monde extérieur. Ses habitants doivent se débrouiller avec leurs propres moyens, c’est-à-dire pas grand-chose. Malheureusement, on n’en saura pas plus sur ce « Pari malchanceux » et sur les circonstances qui ont amené l’Angleterre à cette situation terrible, mis à part le fait que les dirigeants ont levé le camp dès le début des ennuis, laissant leurs citoyens sans gouvernement. De quelle nature était ce pari ? Mystère. Quels en étaient les enjeux ? Aucune idée. À la limite on pourrait imaginer que l’Angleterre a tenté de devenir le nouveau maître du monde un soir de beuverie, mais s’est finalement réveillée dans le pétrin, plus seule que jamais face à la « Communauté internationale ».
Cette nation dans le besoin, entrée dans le « Tiers-monde » malgré sa supposée richesse, fait écho aux angoisses européennes actuelles, et rappelle bien sûr la crise économique que nous traversons. Cet univers n’est pas si éloigné de ce que l’on pourrait vivre dans le pire des cas, si le marché économique mondial venait à s’effondrer. En tout cas, il paraît tout à fait plausible. James Lovegrove sait très bien jouer des inquiétudes sociétales contemporaines. Royaume-désuni s’inscrit dans la droite lignée de Days, précédent roman de l’auteur traduit en français et consacré à la société de consommation poussée à l’outrance. On retrouve ici les thématiques chères à James Lovegrove : « Dowbourne, comme presque toutes les petites villes de province, n’avait pas réussi à échapper au commerce moderne et prédateur. Au début des années 1980, elle avait été prise pour cible par ces deux armes de destruction massive qu’étaient le supermarché et la rue piétonne, lesquelles avaient fini par avoir la peau des quelques petits commerces qui subsistaient encore. ».
Une tonalité humoristique
Deux narrateurs se partagent le récit, Fen et Moira. On sait immédiatement à qui l’on a affaire, puisque la police d’écriture change à chaque bascule, ce qui est très pratique à différencier, même si ce n’était pas indispensable. Fen est plutôt dans le genre antihéros : pas très valeureux, mais honnête et loyal, il va essayer de sauver sa femme alors même qu’ils ne s’aiment plus, parce que c’est son devoir. Mais ce ne sera pas de tout repos pour lui, cet homme de nature pacifique qui ne sait pas se battre et n’a aucune expérience de l’aventure. Moira quant à elle va se révéler au fil des pages. Au départ apathique, elle se laisse porter par les événements, mais son enlèvement met au jour un autre caractère, qui lui permet de reprendre son destin en mains.
Au cours de son périple, Fen va rencontrer de nombreux personnages complètement toqués, qui égayent considérablement le roman, et qui finalement en sont le moteur. Dès le début, on croise d’étranges individus, comme Michael Hollingbury, dit « L’Homme vert », qui dirige Dowbourne, et qui se teint le corps entièrement en vert pour ressembler à une sorte d’esprit de la Nature. Mais ce n’est qu’un amuse-bouche, car Fen voyage ensuite avec Ravi Wickramasinghe, conducteur de train indien totalement fêlé qui ne cessera de le surprendre, puis fera la connaissance des Saltérites, non moins timbrés, ou encore de Beam et de sa maison du bonheur.
Ce texte est donc très potache, et il ne faut pas s’attendre à lire un roman de l’acabit de La Route de Cormac McCarthy par exemple. D’après le quatrième de couverture, Royaume-désuni « s’inscrit dans la grande tradition de 1984, Le meilleur des mondes, Un bonheur insoutenable ou L’oiseau d’Amérique. ». Dans la tradition pas vraiment, et encore moins dans la tonalité. S’il est vrai que les chapitres consacrés à Moira sont plutôt sombres et révèlent la bestialité de ses kidnappeurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser d’après le synopsis, on sourit souvent en lisant Royaume-désuni. James Lovegrove est particulièrement doué pour les comparaisons bien senties, qu’il distille à ravir dans ces pages : « Ils étaient comme des rats qui se baladaient dans un labyrinthe de laboratoire, alors qu’il n’y avait plus de fromage à la sortie. » ; « Une dizaine de pensées disparates se heurtaient dans le cerveau de Fen, tentaient d’attirer son attention, telle une foule d’actionnaires courroucés un lendemain de dépôt de bilan. ». Mais au-delà des bons mots et des caractères, il manque tout de même quelque chose à cet univers. Dommage que l’on ne voie finalement qu’assez peu de cette Angleterre ravagée, alors même que Fen voyage dans la campagne anglaise.
Un canevas assez vague
Royaume-désuni est un roman sympathique, dans la désinvolture, mais qui ne laisse pas un souvenir impérissable. Il permet toutefois de passer un bon moment et d’apprécier le talent de conteur facétieux que démontre James Lovegrove, même si celui-ci n’a pas assez développé la toile de fond de son récit.