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L’Algébriste

Iain Banks ( Auteur), Nenad Savic (Traducteur), Stephan Martinière (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 31/08/06  -  Livre
ISBN : 2352940001
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Arkady   - le 20/09/2018

L’Algébriste

« J’ai une histoire à vous raconter. Elle a plusieurs débuts et peut-être une seule fin. Ou peut-être pas. Les débuts et les fins sont des artifices contingents, des inventions. Où les histoires commencent-elles ? Il y a toujours un contexte, une épopée plus vaste dans laquelle s’inscrit l’intrigue. A moins bien sûr de débuter chaque récit par : "Bang ! Expansion ! Ssss…" et de raconter en détail la naissance de l’univers jusqu’au moment où débute l’aventure qui nous intéresse. De même, aucun dénouement n’est final, sauf à considérer qu’il est la fin de tout…

Quoi qu’il en soit, j’ai une histoire à vous raconter. Le rôle que j’y joue est tellement infime que je n’ai pas jugé nécessaire de me doter d’un nom propre. C’eût été présomptueux de ma part. Néanmoins, j’étais là. Au tout début de l’un de ses commencements. »

Fassin Taak est un Voyant à l’avenir radieux, originaire de la lune ‘glantine, un des satellites de la géante gazeuse Nasqueron où demeurent une colonie d’Habitants. Les Habitants constituent une peuplade ancestrale, dont les individus vivent plusieurs milliers d’années, et qui ont de fait essaimés l’espace bien avant l’espèce humaine. D’allures volumineuses, assez proches en apparence à un croisement entre un Barbapapa et un chariot, les Habitants représentent une espèce bucolique, aux rythmes de vie très lents, très paisibles et aux enjeux décalés aux yeux des espèces rapides telles que les humains. Assez discrets, ils n’autorisent qu’une portion d’humains à venir les étudier - les Voyants.

Lors d’une de ses missions ethnologiques, Fassin Taak découvre un indice relatif au célèbre mythe de la Liste des Habitants - une liste qui recenserait l’emplacement d’hypothétiques trous de vers utilisés par les Habitants, liste qui si elle venait à faire surface changerait la donne spatio-politique de tout l’univers connu. Cette découverte attire donc l’attention de toute une ribambelle d’assoiffés de pouvoir. La Mercatoria d’abord - le gouvernement hégémonique humain en ces temps futurs, dont le pouvoir repose sur un réseau de trous de vers assez pauvre - qui confère à Fassin les pleins pouvoirs pour approfondir sa découverte ; puis le Culte des Affamés de la lointaine Epiphanie 5, mené de mains cruelles par l’Archimandrite Lusiferous, qui monte une flotte d’invasion titanesque pour s’emparer du système de Nasqueron. Alors que la menace d’une guerre quadri-partie entre la Mercatoria, les Affamés, les Habitants et les Déconnectés (des rebelles anti-Mercatoria qui refusent l’adhésion à un quelconque système central), Fassin Taak s’enfonce dans les profondeurs de Nasqueron.

« La meilleure traduction serait peut-être L’Algébriste. Il y est question de mathématiques, de la navigation comme une métaphore, de devoir, d’amour, d’attente, d’honneur, de longs voyages de retour. Ce genre de choses. »

On ne présente plus Iain M. Banks (et d’ailleurs on ne le fera pas) et sa grande œuvre qu’est la Culture. Sans se revendiquer de cette fresque du futur, L’Algébriste s’en rapproche pourtant par bien des aspects : un gouvernement central à volonté homogénéisatrice face à des peuples rebelles libertaires, une section spéciale dédiée aux contacts et une autre aux desseins obscurs (l’Ocula), un émissaire envoyé en mission presque malgré lui - Fassin Taak est assez proche de Gurgeh (L’homme de jeux), un side-kickdécalé (habituellement une IA ; ici l’étrange Hatherence puis l’Habitant Y’sul). Le lecteur habitué de Banks est donc en terrain connu ; d’autant que le propos est volontiers absurde et le ton mélancolique. Malheureusement le terrain est aussi miné.

Si en résumé, l’intrigue de L’Algébriste peut intéresser (et encore), en développé elle est tout bonnement ennuyeuse, répétitive et franchement pénible. Si le premier tiers du roman laisse dans l’expectative, la mise en place via plusieurs fils narratifs étant plutôt bien foutue, la suite, trop linéaire, endort tout le monde. Concentrée autour de Fassin Taak, personnage pas désagréable ceci dit, elle enchaîne des… euh… des riens à vrai dire. Banks n’a pas grand chose à raconter et se perd dans des discussions verbeuses (c’est peu dire), des descriptions sans fin et de vagues péripéties qui s’éternisent jusqu’à l’agonie des derniers lecteurs attentifs. Le décalage introduit par les Habitants ne suffit pas pour justifier cette odyssée interminable et au final sans surprises (ou si peu).

Clairement pas relu (ou bourré alors), L’Algébriste tend à se refermer sur les mains innocentes de son lecteur qui, pour passer le temps, traque les répétitions (page 282 : « Le dirigeable frissonna comme un animal blessé » puis, même page : « Le Dzunda trembla, tangua et hurla à la façon d’un animal blessé ») et les passages somme toute assez couillons (page 313 : « Et, lorsqu’elle était câblée, elle ne pouvait s’empêcher de repenser avec nostalgie à sa vie normale, physique, réelle. Un ciel bleu, la lumière du soleil, le vent qui souffle dans ses cheveux, l’herbe verte et les fleurs sous ses pieds nus. »). En outre, le propos pacifiste et politique de Banks est un plus naïf, moins ambigu que dans ses précédents romans ; il est même assez bêtement manichéen, une tare que l’auteur avait réussi à esquiver jusque-là.

Le gros problème de L’Algébriste semble être que Banks, à trop vouloir s’amuser avec son nouveau jouet et ses habitants, bâcle sa copie et passe à côté de son propos. Il suffit de juger des passages humains : l’épisode de l’épave, les destinées respectives de Saluus, Fassin, Taince - cette dernière étant la représentante du guerrier à la Banks - et le flash-back sur la jeunesse tumultueuse de Fassin. Ces scènes dégagent une réelle émotion et augurent d’un véritable sens à accorder au récit. Mais Banks a oublié ce sens, peut-être trop évident (grosso modo : la vie c’est la merde), pour se réfugier vers les élucubrations des non-humains de son histoire, histoire devenue de fait elle aussi non-humaine.

« Que suis-je devenue ? pensa-t-elle en fixant les ténèbres de l’espace tactique, en regardant sans les voir les lignes de couleur s’allonger, les coordonnées se modifier en temps réel, des groupes de vaisseaux fendre l’espace profond qui bordait le système Ulubis. Je voulais une bataille digne de ce nom. La mort, la destruction. Oui, je souhaitais qu’il y ait des morts et des destructions. Je voulais avoir l’occasion de mourir, de tuer, de mourir…

Elle fixa ce vide horrible, tandis que tout le monde se réjouissait autour d’elle.

Que suis-je devenue ? »

Hormis une noirceur prégnante, à laquelle on adjoindra un prologue et un épilogue remarquables (et courts) et une scène de torture mémorable où le sérum de vérité est administré au moyen d’une sodomie, il n’y a pas grand chose à retirer de ce gros, trop gros, trop trop gros roman, mal branlé, où Banks n’a pas su/voulu faire la part des choses. Le parallèle thématique avec La plage de verre est évident, mais là où L’Algébriste s’enlise, le précédent allait plus loin dans l’absurde et dans la noirceur, et il s’avérait surtout mieux équilibré. Au jeu de la traduction des œuvres de Banks qu’Ailleurs & Demain n’a pas voulues, Rendez-vous Ailleurs gagne donc par KO dès le premier round.

Il faut aussi avouer que l’édition Bragelonne partait perdante avec sa traduction en bas-normand, sa quatrième de couverture en forme de contre-sens complet (Banks comme l’un des maîtres du Nouveau Space Opera), et son illustration de couverture qui fera école. Grâce à elle, Bragelonne, à défaut d’avoir inventer le NSO, vient surtout d’inventer le NSA (Nouveau Système Antivol). Avec une couverture aussi laide, vous pouvez être sûr que personne ne cherchera à vous le voler. Remarquez, c’est dommage, parce que pour le coup on aurait bien aimé se le faire chourer celui-là.

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