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Le Seigneur des guêpes

Iain Banks ( Auteur), Jean-Philippe Marie (Illustrateur de couverture), Pierre Arnaud (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/12/04  -  Livre
ISBN : 2265078689
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Eric   - le 27/09/2018

Le Seigneur des guêpes

Refusé six fois, ce premier roman inspira finalement assez les prestigieux MacMillan London Ltd, pour en signer l'auteur. Bien leur en prit, puisque dès sa sortie en 1981 Le Seigneur des Guêpes fut un énorme succès.

Incontestablement l'un des trois ou quatre très grands romanciers à être apparu ces dernières années, Iain Banks s'offrait cette entrée en fanfare dans le cénacle de la littérature de genre. Car si succès il y eût, il n'alla pas sans une certaine controverse. Controverse assez compréhensible, il est vrai.

En équilibre au-dessus du gouffre de la folie

Car Frank Cauldham vit tout à la fois sur une île et sur le fil du rasoir. Incertain de sa propre santé mentale, il est bien conscient de ce que ses petits travers peuvent avoir d'insolite. Voire de malsain.

Fils d'un médecin fantaisiste, opposant farouche et déterminé du système métrique, Frank n'a hérité du passé hippie de son père que l'inconfortable privilège de n'avoir aucune existence légale. Jamais déclaré à la naissance, inscrit dans une école ou recensé, il est condamné à une vie sédentaire sur la petite île que possède sa famille depuis des générations. Une existence dont il a depuis longtemps appris à s'accommoder, faisant de la petite bande de terre échouée à quelques encablures des côtes écossaises, sa forteresse privée.

Son père et lui y partagent une réclusion routinière que l'adolescent rythme pour sa part de rituels étranges, mais auxquels il ne déroge jamais. Tout d'abord, inspection et entretien des mâts de sacrifice, qu'il a planté un peu partout tant pour assurer sa protection que pour marquer son territoire, et qu'il garnit de cadavres d'animaux. Récolte ensuite des dits cadavres, au moyen d'expédients divers, mais en général cruels. Et puis enfin, la pratique assidue de ses dévotions au Sanctuaire. Le Sanctuaire est le mystérieux oracle d'une religion qu'il s'est lui-même édifiée, et dont il est à la fois l'unique adepte et le principal officiant.

Cela laisse à Frank tout le loisir d'une introspection parfois atrocement lucide, et souvent dérangeante, quand par exemple il nous parle de ses trois meurtres. Cela lui laisse aussi le temps d'attendre. Attendre le retour annoncé de son frère Eric, qui vient de s'évader de l'asile de haute sécurité où il était interné pour le guérir de sa détestable habitude de mettre le feu aux animaux domestiques.

Un acte de naissance

Iain Banks est ici bien loin de sa chère Culture, mais déjà le formidable styliste qu'il est, est à pied d'œuvre dans ce portrait caustique et morbide de psychopathe. Il inaugure ici un sous-genre qui connaîtra de belles heures quelques années plus tard avec Le Tueur sur la route de James Ellroy, et surtout Bret Easton Ellis et son American Psycho. Avec cette même promiscuité insalubre, il nous entraîne au cœur même des obsessions de son héros. Mais là où Ellroy et Ellis restent dans le détachement, Banks nous travaille à l'affect. Prenant tout son temps, allant nous chercher dans la méticulosité en usant d'une langue tout à la fois précise et désinvolte. Nous ne sommes pas seulement les témoins de l'effondrement moral et psychique d'un homme, mais partie prenante du processus, car nous partageons avec lui une distance qui est très loin de nous être salutaire. Et puis comme toujours chez Iain Banks, on retrouve cet humour acide et l'éternelle touche de surréalisme qui font sa patte, et nous entraîne, sans presque que l'on s'en aperçoive, vers la sympathie.

Belle initiative de Patrice Duvic et du Fleuve Noir de nous proposer cette réédition. C'est l'acte de naissance d'un authentique maître-écrivain.

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