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Le Pianiste déchaîné

Kurt Vonnegut Jr ( Auteur), Aurélien Police (Illustrateur de couverture), Yvette Rickards (Traducteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/04/10  -  Livre
ISBN : 9782070399345
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stephaneg   - le 31/10/2017

Le Pianiste déchaîné

Avec des romans comme Le Breakfast du champion, Le Berceau du chat, Les Sirènes de Titan ou le célébrissime Abattoir 5, Kurt Vonnegut s'est imposé dès les années soixante comme un des grands écrivains de science-fiction américains du XXe siècle. Maintenant considérés comme des classiques, nombre de ses romans ont été repris dans des collections poches généralistes. Le Pianiste déchaîné, premier roman de cet auteur né en 1922 et décédé en 2007, est réédité, pour sa part, dans la collection Folio SF, où cette dystopie trouve tout à fait sa place.

Le règne des machines est-il celui du bonheur ?

Le Docteur Paul Proteus est l'administrateur d'Ilium Works, une des gigantesques usines des États-Unis, qui fournissent à la société américaine tout ce dont elle a besoin. Car depuis la fin de la Troisième Guerre Mondiale, pendant laquelle les machines ont démontré leur supériorité – en terme de productivité et en qualité de travail – sur les humains, la plupart des citoyens des USA sont cantonnés à des postes dans l'armée ou les corps de Reconstruction et de Récupération. Mais ils ont tout ce dont ils ont besoin : maisons totalement équipées, sécurité sociale, et cætera, sans vraiment travailler en échange.
Proteus, qui fait partie de l'élite – celle des ingénieurs, des fonctionnaires et administrateurs – qui dirige les États-Unis avec l'appui de l'ordinateur EPICAC, était convaincu jusqu'à maintenant du bonheur de ses concitoyens. Mais l'apparition de son vieil ami Ed Finnerty, qui tient un discours blasphématoire envers les machines, lui fait sauter aux yeux une réalité qu'il n'avait jamais entraperçue...

Une satire sociale avisée

Avec la société qu'il décrit dans Le Pianiste déchaîné, Kurt Vonnegut s'attaque férocement aux idéaux d'une Amérique d'après-guerre en plein boom économique, fière de ses valeurs, de son industrie, de son way of life. Nous sommes en 1954 lorsque paraît aux États-Unis ce roman, le premier de l'auteur, où il démontre déjà qu'il est un homme doté d'un regard sarcastique, qui n'a pas peur de heurter l'Amérique bien pensante. Pas étonnant que ce jeune auteur se soit fait remarquer avec ce livre qui fut un assez bon succès éditorial aux USA.
Au moyen de son personnage principal, une des figures majeures de cette Amérique aux mains d'une caste à fort QI et des machines qui ont volé le travail aux hommes, Kurt Vonnegut dévoile les travers d'une mécanisation extrême de l'industrie. En mettant en scène un Paul Proteus qui prend conscience de l'absurdité d'une société qui se laisse guider par une planification mécanique de ses politiques – économiques, sociales, étrangères, militaires... –, l'auteur réussit à exposer tous les aspects de la question, sans épargner quiconque. Ainsi, l'industrie et son fonctionnement de plus en plus automatique sont critiqués, mais ce qu'elle apporte en terme de confort, de santé pour les travailleurs est longuement abordé. Les Américains ont donc tout... pour rien, puisque l'armée est une fumisterie avec ses soldats aux fusils de bois ; puisque les R&R effectuent des travaux symboliques.
Mais les citoyens américains sont malheureux. L'Américain a en effet besoin de travailler, d'exercer une activité, d'avoir quelque chose en quoi s'investir pour être heureux. Et de cela, Kurt Vonnegut se moque. Il fait ainsi monter chez le lecteur, tout au long du roman, l'espoir d'une révolte, personnelle d'abord à travers Proteus, puis collective, pour mieux démontrer finalement que les hommes sont des moutons, que si dans la société qu'il décrit les machines et les administrateurs, les fonctionnaires et les ingénieurs ont pris le pouvoir, c'est la conséquence d'une évolution naturelle d'une société de consommation où les gens en veulent toujours plus pour toujours moins. Si le citoyen proteste contre une anonymisation croissante, il y trouve le réconfort d'une absence de responsabilité, la sécurité de la prise de décision par d'autres pour les sujets importants, mêmes personnels. Une passivité que met en exergue le Chah de Bratpuhr, plénipotentiaire indien en visite chez l'Oncle Sam, en traitant les citoyens américains de takarus – d'esclaves – et en renvoyant par la même la société moderne des États-Unis au même niveau que celui d'une Inde encore ancrée dans des traditions de castes périmées.
Dans ce contexte, se révolter n'est alors plus qu'un divertissement dans lequel la plupart, encore, ne sont que des figurants...

Une dystopie incontournable

La portée de la satire sociale que mène Vonnegut dans Le Pianiste déchaîné est telle que près de soixante ans après sa première parution aux USA, elle est encore d'une pertinence poignante. Et ce malgré un style plus que classique, qui a un peu vieilli. L'auteur est encore au début de sa carrière et écrit une histoire dystopique de facture assez ordinaire, qui rappelle un peu le 1984 de George Orwell (paru seulement six ans plus tôt). Vonnegut est encore loin d'avoir forgé le style si particulier qui a fait sa réputation et son originalité dans Abattoir 5 ou Le Berceau du chat. Mais le Kurt Vonnegut Jr, grand écrivain de science-fiction, pointait déjà le bout de son nez avec ses personnages authentiques, son humour noir et grinçant, sa façon d'aborder sans concession, mais avec finesse, des sujets sensibles pour en donner un avis qui brutalise le lecteur dans le bon sens du terme.
Kurt Vonnegut doit être lu. Le Pianiste déchaîné aussi.

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