Maïa Mazaurette n'est pas vraiment du sérail. En dépît d'un roman d'anticipation –
Le pire est avenir dont une réédition a paru en 2009 chez Mnémos – c'est principalement comme bloggueuse qu'elle s'est jusqu'à présent illustrée. Elle est la principale animatrice de
sexactu, où elle vous initiera, d'une plume légère, à tout un pan étonnament créatif (et globalement récréatif, à l'en croire) du design industriel. Ce qui l'a toutefois amenée à publier une poignée de bouquins tournant autour de la chose et à scénariser une BD – genre de crossover entre Bretecher et Clara Scheller.
Autant dire qu'on ne l'attendait guère sur un terrain, certes tout aussi récréatif, mais très différemment connoté (encore que...)
Gardiens de nuit Nous sommes en 1361 et voilà près de quatre-vingts ans que le soleil ne s'est pas levé. Depuis que Galaad a été défait par les forces de l'Occidan Noir à la bataille des Montagnes de Silensie, où fut perdue l'Étoile du Matin, la relique sacrée qui apportait la lumière sur le monde. Depuis, tous les cinq ans, les derniers croyants d'Auristelle envoient sur les routes un groupe de Quêteurs. Chacun, complémentaire de l'autre, se doit dès lors à une vie d'errance. Leur seul espoir de revoir un jour la Cité des Arches, est de retrouver et de ramener l'Étoile du Matin.
Le dernier de ces groupes est parti en hâte d'Auristelle il y a quatre ans. Hétéroclite jusqu'à l'handicap, il se murmure pourtant que nul autre ne fut jamais mieux armé pour mener à bien l'impossible quête que celui de Spérance Monastère. Les voies de l'éternel ont amené cette orpheline de la plus basse extraction à donner ses ordres à Astasie d'Abbahye, son intransigeante Inquisitrice, au discret Lièpre, la sentinelle du groupe, à Vaast, le relaps de l'Occidan Noir destiné comme il se doit à être leur espion et à l'étrange Cyférien, héritier légitime du trône d'Auristelle, mais frappé du signe infâme de la Bête. Comme nombre des enfants qui ont vus le jour dans ces âges de ténèbres permanentes, de froid et de déréliction, il est difforme. Une insulte pour la pureté de l'aristocratie régnante.
Infiltrés au cœur des terres de l'Antépape, Spérance et les siens vont faire une découverte décisive. Mais une découverte qui va, aussi, faire trembler les fondements de ce monde sombre, duquel de nombreux nantis ont trop bien réussi à s'accomoder.
Les marchands du Temple Tendance irritante du moment que de voir tout ce que la blogoshère compte de pisse-posts émigrer vers l'édition papier. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur ce qu'il faut bien appeler, au mieux une dévolution, au pire un reniement numérique. Mais de même que massacrer des instruments qui ne vous ont rien fait sur myspace ne suffit pas à faire de vous une rock star, scribouiller sur la toile ne vous qualifie pas –
automatiquement – pour faire de la fiction. Quand bien même vous entretinssiez un petit brin de plume.
C'est donc avec ce qu'il faut de snobisme et de suspicion qu'on entame la lecture de
Dehors les chiens, les infidèles.
Comme dans le dernier Loevenbrück, on ouvre sur une séance de torture.
Ah...
Sauf que celle de Maïa Mazaurette fait mouche, elle. La distance qu'elle place dans ses descriptions, séquence d'ultra violence filmée en plan large, aide à nous mettre dans la tête de ses personnages. On effleure dès les premières pages le sens mystique du devoir qui les habite. On commence, déjà, à les comprendre. L'empathie s'installe vite. Assez pour qu'on accepte de les accompagner sans arrière-pensées, jusqu'à ce qu'ils donnent leur pleine mesure. Ce qui ne tarde guère. Et c'est assurément l'une des plus grandes réussites – si ce n'est
la plus grande réussite – de ce roman. Certes l'univers n'est pas malhabile. C'est vrai, l'intrigue est bien construite et intéressante. Mais Maïa Mazaurette tient ses personnages comme peu d'auteurs le font. Elle travaille leur âme jusqu'à en explorer les plus noirs recoins. Elle a ce talent rare de savoir rendre attachants des héros qui n'en sont pas, de nous faire vibrer sur les contradictions et les paradoxes de leurs personnalités. Elle semble les lire avec une telle clarté, qu'elle nous les rend immédiatement familiers. C'est une faveur insigne que les personnages d'un roman acceptent de se livrer si totalement à leur auteur. Et c'est peut-être que Maïa Mazaurette sait bien les écouter, et qu'elle se refuse à les juger.
... et la lumière fut ! Du coup elle ne donne aucune leçon. Elle évite sans peine un écueil attendu sur un sujet aussi casse-gueule : le fanatisme religieux. S'attachant à ses personnages, elle nous laisse seuls, tirer nos propres conclusions. Elle le fait même avec assez de style. À mille lieues de l'écriture sympatoche, tendance
youpla boum de ses activités online, Maïa Mazaurette épate sans esbrouffe par l'intensité de certaines scènes. Un moment de tension dramatique oppressante autour d'un bébé malformé, une scène de bataille d'un réalisme angoissant, la belle sobriété d'un climax prévisible mais tout de même surprenant.
Bien-sûr, on pourrait chercher la petite bête, pointer quelques maladresses, un ou deux dialogues par trop convenus... mais à quoi bon. Ce premier roman de fantasy est une totale réussite. Intelligent, subtil, remarquablement maîtrisé et écrit.
Lorsque nous rentrons nos articles sur ActuSF, dans notre
back office, nous avons un petit menu déroulant qui ouvre sur la base des auteurs que nous avons déjà traités. Lorsqu'un nouvel auteur doit y être ajouté, nous avons un petit onglet sur lequel est inscrit
"créer un nouvel auteur". Géniale sémiologie accidentelle de l'administration de site. Il m'arrive d'y voir une ironie cruelle. Mais Maïa Mazaurette n'a certainement pas attendu la grâce douteuse d'un clic d'arrière boutique pour s'honorer, toute seule, d'un tel titre. Celui d'auteur.