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Photo de Jirel de Joiry

Jirel de Joiry

Patrick Marcel (Préface), C.L Moore ( Auteur), Georges H. Gallet (Traducteur), Sophie Collombet (Traducteur), Hervé Leblan (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 30/09/10  -  Livre
ISBN : 9782070395859
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chloe   - le 27/09/2018

Jirel de Joiry

Catherine Lucille Moore est un auteur américain qui a débuté dans les années 1930. Parce qu’à l’époque être une femme dans un univers majoritairement masculin n’était pas forcément chose aisée, elle a choisi de signer ses écrits de ses seules initiales, C. L. Moore. Elle se marie en 1940 avec Henry Kuttner, célèbre écrivain américain de science-fiction qui publiait également dans Weird Tales, et démarre avec lui une fructueuse collaboration qui donnera naissance à de nombreuses nouvelles – sous le pseudonyme de Lewis Padgett et bien d’autres – autant de publications qui bénéficieront de leur complémentarité dans le travail d’écriture.

Parallèlement aux Aventures de Northwest Smith, la collection Folio SF a regroupé au sein d’un même recueil les six nouvelles qui relatent les aventures de Jirel de Joiry, la fière guerrière créée par Moore un an seulement après son personnage de l’astronaute baroudeur. Moins nombreuses que celles qui sont consacrées à Northwest Smith, les nouvelles dédiées à Jirel sont également présentées dans leur ordre chronologique de parution dans Weird Tales, d’octobre 1934 à novembre 1937. Le dernier texte du recueil, écrit en collaboration avec Henri Kuttner, réunit les deux personnages dans une même aventure. Patrick Marcel est l’auteur de la préface de ce  volume, et nous en dit un peu plus sur la genèse de Jirel de Joiry, cette fougueuse guerrière du moyen-âge.

Une guerrière au tempérament de feu


Jirel de Joiry, châtelaine française du moyen-âge, tient son royaume d’une main de fer. Défendant corps et âme son domaine et les hommes qui se battent à ses côtés, elle n’hésite pas à braver les ténèbres et défier des magiciens pour sauvegarder son honneur et prouver sa valeur au combat.

Un personnage haut en couleur


Avec Jirel de Joiry, Catherine Moore exploite ce qui restait latent chez les protagonistes féminins des Aventures de Northwest Smith. Elle met pleinement en lumière une héroïne. Chose rare à l’époque, car la fantasy ou la science-fiction des années 1930 ne laissait souvent aux personnages féminins que le second rôle, plutôt en tant que faire-valoir du premier rôle masculin. Cette rousse flamboyante et athlétique aux yeux dorés, dont la chevelure s’accorde à merveille à son caractère ardent, est une forte tête à laquelle rien ne résiste. Tant que ses adversaires croient qu’il s’agit d’un homme, ils en ont peur ; et lorsqu’ils découvrent avec stupeur qu’il s’agit d’une femme, ils la désirent intensément, séduits par sa fougue et sa sauvagerie.

Jirel agît, elle est toujours dans l’action. Contrairement à Northwest, qui se laisse un peu porter par les événements, c’est elle qui va délibérément à la rencontre du danger. Elle décide de s’y confronter, elle traverse les portes ou les souterrains qui la mèneront dans les mondes parallèles et magiques où l’attend toujours un adversaire de taille. Même lorsque cet univers la rejette, elle revient à l’assaut, comme dans Jirel face à la magie, où la sorcière se soustrait à sa vue, mais sans succès : Jirel n’abandonne jamais, tant que son but n’est pas atteint. Smith, pour sa part, va où le vent le porte, et ne décide pas de provoquer les terribles créatures qu’il rencontre, ce sont elles qui le défient. Une fois entré dans l’action il s’en sort très bien, mais il ne cherche pas la confrontation, il est plutôt dans une attitude mesurée, à l’inverse de la jeune femme.

Le poids des actes

Paradoxalement, les nouvelles qui mettent en scène Jirel de Joiry présentent une figure plus humaine mais aussi plus sauvage, en accord avec la nature profonde de la guerrière. Impitoyable, cette dernière n’hésite pas à tuer ou torturer, alors qu’elle se réclame d’une cause juste. Northwest lui, un hors-la-loi qui trempe dans des affaires un peu louches, semble pourtant beaucoup plus tempéré ; même s’il n’hésite pas à défendre sa vie, il n’a pas la gâchette facile. Mais la dame de Joiry paraît finalement plus sensible que l’aventurier de l’espace, puisqu’elle éprouve des sentiments très forts. Que ce soit des remords pour un meurtre qu’elle a perpétré ou des regrets pour ne pas avoir su comprendre l’amour éprouvé (Le baiser du dieu noir, L’ombre du dieu noir), toujours inconsolable, marquée à jamais par son geste, à tel point que lorsqu’elle se doit de faire face à son passé elle ne le supporte pas (Jirel face à la magie), Jirel de Joiry souffre de la violence de ses actes. Si tout dans l’aspect physique de Northwest Smith est froid et calme, de ses yeux métalliques à sa tenue savamment négligée, en accord avec son détachement, la conscience de Jirel, elle, reflète sa fougueuse apparence.

Une dimension religieuse très importante entoure les pérégrinations de la châtelaine, dimension qui n’est pas vraiment présente dans les aventures de Smith. Liée au contexte, puisque les faits se déroulent à une époque moyenâgeuse, ces références à la foi, au péché et à la damnation apportent une tension dramatique, presque tragique, aux événements. Jirel est prête à tout pour arriver à ses fins, jusqu’à descendre en Enfer et pactiser avec les démons pour se procurer une arme (Le baiser du dieu noir) ou pour secourir une âme damnée (L’ombre du dieu noir). Elle n’hésite pas à visiter un château hanté par un fantôme malveillant (Hellsgarde), et même sur son lit de mort elle se retrouve à affronter l’au-delà (Le pays ténébreux). Inextricablement liée à la religion, la magie noire bouscule le quotidien de Jirel, qui sans peur et sans reproche, défie les plus grands sorciers ou sorcières (La quête de la pierre-étoile, Jirel face à la magie).

On retrouve le même vocabulaire que dans Les aventures de Northwest Smith, avec des termes récurrents comme « impondérable », « immuable », « innommable », « intangible »… et la même maîtrise des univers cauchemardesques à la Lovecraft, jusque dans la géométrie inhumaine : « (…) les mystérieuses courbes et spirales qui suivaient la trame fantastique d’une géométrie non euclidienne inconnue. » (La quête de la pierre-étoile). Jirel combat elle aussi des créatures immondes et visqueuses (Le baiser du dieu noir, Jirel face à la magie), et découvre des mondes parallèles (L’ombre du dieu noir, La quête de la pierre-étoile), dans un étrange mélange de science-fantasy. Le concept de « l’inquiétante étrangeté » développé par Freud imprègne au plus au point tous les univers rencontrés : «  des lieux qui étaient à la fois familiers et étranges » (Jirel face à la magie).

Une héroïne d’avant-garde

Moins répétitives que Les aventures de Northwest Smith, mais répondant également au même schéma redondant, les nouvelles regroupées dans ce recueil sont à lire séparément, pour ne pas se lasser. Les deux volumes consacrés aux héros créés par Catherine L. Moore se répondent et se complètent, et il est donc plus intéressant de consulter les deux tomes que de privilégier l’un d’entre eux. Mais s’il ne fallait en garder qu’un seul, cette héroïne paradoxalement sanguinaire et sensible, qui fait figure de prototype de personnage féminin de fantasy, pourrait peut-être l’emporter sur le fier astronaute hors-la-loi.

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