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Jules II

Alejandro Jodorowsky (Scénariste), Theo (Dessinateur), Florent Bossard (Coloriste)
Aux éditions : 
Date de parution : 06/04/11  -  BD
ISBN : 9782756019635
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Christian   - le 31/10/2017

Jules II

Le deuxième des quatre tomes prévus pour Le Pape terrible de Theo et Jodorowsky vient de paraître aux éditions Delcourt. Après Borgia et les frasques licencieuses et incestueuses d'Alexandre VI, la saga des papes terribles continue. C'est désormais Jules II, le pape soldat, grand mécène de la Renaissance italienne, qui tient le haut du pavé.
 
Le premier tome relatait l'ascension de Giuliano della Rovere et son accession cynique au trône papal. Avec son compagnon intime, il supprimait son prédécesseur, le pape Pie III. Avec Machiavel, il supprimait César Borgia. Avec sa famille, il tentait de reconstituer un clan capable de terroriser ses ennemis et l'Italie entière. L'heure du règne est arrivée.
 
Drame familial et conquêtes papales
 
Par une nuit de l'an 1504, le jeune Aldosi, amant du pape, rend visite à une sorcière pour qu'elle lui concocte un philtre d'amour. L'ayant bu, Jules II cède à la volonté de l'éphèbe de célébrer leur union au grand jour. Il présente secrètement à sa famille la "nouvelle papesse" et dévoile son intention d'en faire l'une des icônes vivantes de la chrétienté. Quelques jours plus tard, Aldosi est assassiné...
 
Jules II traverse alors un long calvaire où il va se venger des siens et se lancer, non sans courage, dans une campagne guerrière contre les tyrans de Bologne et de Pérouse, avant de nouer une relation toute particulière avec Michel-Ange.
 
Père aimant, père intraitable
 
Le Jules II d'Alexandro Jodorowsky est un pape fantasmatique. Un pape intraitable, que sa relation homosexuelle avec le jeune Aldosi rend presque fantasque. Un pape brisé par l'assassinat de son poulain et la trahison de ses proches, qu'il tentait de réunir en un clan. Un pape qui devient terrible parce qu'il se lance dans des opérations guerrières d'envergure à l'échelle italienne (il fut baptisé "Jules César II"). Un pape qui restera célèbre dans l'histoire pour le développement et la protection des arts. Jodorowsky transforme en amant homosexuel dominateur celui qui commanda à Michel-Ange les grandes fresques de la Chapelle Sixtine.
 
Le pape terrible n'est pas une fable panique jodorowskienne. Il ne s'agit pas d'une intrusion dans la réalité d'un homme ou d'un fait divers rédempteur et improbable. S'il est d'une certaine manière exceptionnel, Jules II n'est pas une exception dans l'univers de la Renaissance italienne. Ni dans l'Histoire, d'ailleurs, il est le prototype de l'homme tout puissant, qui adapte le réel à sa volonté, plus qu'il n'en subit les attaques. Dans le monde de Machiavel et de la quête de l'unité italienne, il est un Prince souverain avant d'être un pape.
 
On ne trouvera pas non plus dans Jules II un documentaire historique sur la papauté de la Renaissance. La réalité historique n'est pas ce qui préoccupe Jodorowsky, il s'en sert d'argument pour conter l'histoire d'une passion hors norme et pour mettre en scène le chaos qui naît d'un pouvoir sans limite. Quand l'homme est livré à sa passion, quand les hommes sont soumis au pouvoir d'un seul, même l'institution religieuse vacille. Apôtre de la transgression thérapeutique, Jodorowsky explore le comportement extravagant d'un tyran, comme pouvait le faire Pasolini dans Caligula. Cette "papauté des marécages", primaire, bestiale, mais courageuse et créative, a engendré la sainte institution d'aujourd'hui. Le pape terrible, c'est aussi le père terrible du clergé contemporain. C'est le clin d'œil en forme de rappel historique de Jodorowsky, pour qui l'intrusion du chaos, de l'inattendu, du tragique, du merveilleux dans la vie quotidienne est la vraie "danse de la réalité".
 
Dessinateur italien (Jodorowsky ne confie ses séries papales qu'à des illustrateurs cisalpins), Theo est entré en bande dessinée par la voie historique. La seule série à son actif (4 tomes), Le Trône d'argile, scénarisée par Nicolas Jarry, traite du dauphin Charles VII et de la guerre de cent ans. Son dessin y est déjà très abouti, la maturité du trait, le traitement habile des décors et des costumes médiévaux sont sans doute pour quelque chose dans le choix de Theo par Jodorowsky et les éditions Delcourt.
 
Les visages sont très expressifs et donnent une vraie force dramatique au récit graphique. Les corps nus, plus virils que ceux de Raphaël et moins puissants que ceux de Michel-Ange, sont, en dépit d'un crayonné excessif, dignes de la Renaissance. Theo sait admirablement tirer parti des costumes pour donner de la solennité et de l'ampleur aux mouvements des corps. Les décors, bien qu'estompés pour donner plus de force au premier plan, sont remarquables. Il y a un gros travail de documentation historique. Theo a relevé le défi de dessiner Rome et la Renaissance, Michel-Ange dans ses œuvres sans à peu près. Il devient en deux séries une valeur sûre de la BD européenne.
 
Les couleurs de Bossard, qui virent volontiers à l'ocre orange, respectent les sources de lumière et s'étirent en de subtils dégradés. Seul le mariage entre des couleurs riches et des traits parfois excessifs (adaptés à une production noir & blanc) tranche parfois.
 
Jules II est l'histoire d'un père attirant, amoureux et terrible, l'histoire d'un homme de pouvoir qui a compris la nature chaotique et créative du monde, qui en joue, au mépris de ses concurrents et qui défie l'immoralité de son temps de sa sage cruauté paternelle.

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