Le jeu des sabliers
Aujourd'hui employé par Airbus, Jean-Claude Dunyach est un touche-à-tout aux multiples activités : ex chanteur-guitariste, conteur, parolier et même pour la petite histoire tenancier d’un sex-shop pendant une semaine ! Mais c’est aussi un auteur de nombreuses nouvelles et romans récompensés par de nombreux prix…
Un spectacle hypnotique
Tout commence par une ancienne prophétie, d’étranges sabliers et de bien mystérieuses cartes de tarots… Jern le jongleur, Aléna la guerrière et Dorian le bouffon dirigés par Olym le poète s’engagent dans une quête sans se douter des dangers qui les guettent, aveuglés par l’argent et des promesses délusoires. Une aventure qui les mènera au-delà de leur univers… Mais dans quel véritable but ?
Ce roman mêlant avec aisance la science-fiction à la fantasy, sans que cela ne paraisse paradoxal, se caractérise par la fluidité et l’aisance de son écriture à l’image de l’écoulement infini du temps. Le récit se déroule avec délicatesse et invite au voyage et à l’aventure en compagnie de nos quatre héros, dans un monde ressemblant à une immense fresque imaginaire. Un tableau dans lequel on prend plaisir à s’immerger. Car la force du récit tient en deux sens : la vue et l’ouïe. Étrange, penserez-vous peut-être. Pourtant lorsque Jern le jongleur débute son numéro, les billes s’élèvent devant nos yeux pour exécuter leur danse aérienne : on les voit se mouvoir, accélérer leur course, s’illuminer et nous sommes dès lors emportés par ce spectacle et hypnotisé. Vous observerez la Face, cette planète pas plus grosse qu’une lune au visage humain, suivrez les mouvements du semiothe, cette armure vivante que porte Aléna, et vous vous engouffrerez dans les profondeurs de chairs d’un Animal-Temple. Il y a à mon sens un travail visuel et esthétique qu’illustre magnifiquement la création de Bruno Wagner sur la couverture. Et l’ouïe, car la puissance « physique » des mots est mise en scène dans l’œuvre. Aussi dangereux et parfois même plus efficace que les armes de la guerrière, les mots sont le fondement même de cette aventure puisque tout commence avec une prophétie… Le lecteur est donc un spectateur observant le cheminement obscur de ses quatre figures du tarot.
Le tarot au service du récit
Jern le Bateleur, Aléna la Force, Dorian le Mat et Olym l’Ermite réunis, le jeu à quatre joueurs peut commencer. Chaque chapitre se voit attribuer une carte tirée du tarot de Marseille, illustré chacun par une citation extraite de l’ouvrage Méditation sur les 22 arcanes majeurs du Tarot, et que j’ai trouvé personnellement difficile à comprendre pour la majorité d’entre-elles. Le tarot est un jeu ésotérique. Le lecteur est donc tout aussi ignorant que les personnages. Sauf si vous vous évertuez à jouer au devin. Les règles complexes du jeu sont celles du tarot et mieux vaut, comme il l’est dit dans le récit même, ne pas chercher à les comprendre, se laisser simplement guider à l’instar de Jern et d’Aléna. Après tout, tout est déjà prédit. Nous suivons un jeu d’aventures à l’univers riche alternant actions, haltes et marche à un bon rythme.
Mais ce roman va au-delà et montre toute son ingéniosité: il nous propose également d’assister à la création d’une légende. Ces personnages types mais caractériels auxquels on ne peut s’attacher cependant, réunis par un contrat à un vieux fou, sont amenés à s’élever en héros. Et comme toutes légendes, jamais véritablement elles ne meurent. Elles se transforment au fil du temps et de ceux qui les racontent. La lecture une fois terminée, il y a donc cette douce impression que l’histoire ne fait véritablement que commencer, ou plus précisément qu’elle ne fait que poursuivre sa route. La fin du récit induisant le temps des révélations prend plaisir à conserver une part de mystères et d’infini. Et nous, lecteurs, restons envoutés.