Roi du Matin, Reine du Jour
Ian McDonald est né en Angleterre (Manchester) mais, dès l’âge de 5 ans, rejoint avec sa famille l’Irlande – patrie de sa mère, à Belfast, où il habite toujours actuellement. Il fait partie des valeurs sûres de la science-fiction britannique. Son dernier roman à avoir été traduit en français est La Maison des derviches (Denoël octobre 2012).
Roi du Matin, Reine du Jour a été récompensé par les prix Philip K. Dick (1992), Imaginales (Roman étranger, 2009), et Grand Prix de l’Imaginaire (Roman étranger, 2010).
Trois femmes puissantes
Irlande : trois époques, trois femmes aux caractères bien trempés, toutes issues de la même lignée. La première, Emily Desmond, vit en 1913. Pensionnaire d’une école de jeunes filles, elle profite des vacances scolaires dans la maison familiale de Craigdarragh pour laisser libre cours à sa fertile imagination. Si son père, astronome, tente de prendre contact, malgré les risées, avec des hypothétiques extraterrestres via la comète de Bell, elle passe son temps dans la forêt de Bridestone à la recherche des elfes, lutins, fées et autres créatures irlandaises qui n’apparaissent qu’à ceux qui croient en eux.
Années 1930 : Jessica Caldwell, une jeune femme mythomane, s’invente la vie qu’elle aimerait connaître, trépidante et pleine de dangers, à l’inverse de son quotidien sans surprise de serveuse dans un restaurant à Dublin. Mais ses espoirs vont devenir réalité lorsqu’elle croise le chemin du mystérieux et ténébreux Damien Gorman. A tel point que sa vie est en danger. Heureusement que Gonzague et Tirésias, deux vagabonds clairvoyants, la suivent de près…
Fin des années 1980 : Enye MacColl travaille dans une agence de publicité le jour, mais la nuit, à l’aide de la Shekinah, substance qui la met en transe, elle parcourt les rues de la ville et ses sombres recoins pour traquer d’étranges monstres qui rôdent, en pratiquant le kendo à l’aide de son katana. Elle va rencontrer d’autres personnes, qui, comme elle, mènent une double vie et perçoivent le monde parallèle des esprits, qui l’aideront dans sa quête.
Un hommage au patrimoine imaginaire irlandais
Ian McDonald, d’origine irlandaise par sa mère et écossaise par son père, ne pouvait pas, parmi les différentes régions du globe et les multiples croyances qu’il met en valeur dans ses romans, ne pas s’attaquer à l’Irlande, le pays où il vit depuis l’âge de 5 ans. D’autant que l’on connaît la richesse des mythes et légendes de l'île d'émeraude.
Il a choisi pour ce faire trois époques et trois personnages forts, des femmes qui évoquent les déesses et sorcières des anciens temps, mais en tant que protagonistes du XXe siècle. On fait connaissance avec la première, Emily Desmond, par le biais de son journal intime, dans lequel elle narre ses rêveries fantastiques. Le style victorien et l’ambiance du début du XXe siècle sont bien rendus, mais à trop vouloir décrire les différentes manifestations perçues par Emily, Ian McDonald nous perd un peu dans un inventaire à la Prévert des créatures rencontrées ou imaginées. On s’ennuie donc par moment, l’intrigue n’avançant qu’à pas comptés et se retrouvant comme surchargée par les envolées littéraires et les émois de la jeune adolescente, même si ce style un peu vieillot est volontairement utilisé par l’auteur pour faire sens dans la construction globale de son texte. La forêt de Bridestone, cœur du Mygmus créé par Emily, est le lieu de son subconscient d’où naissent les créatures féériques ou maléfiques.
Avec les deux autres protagonistes, descendantes de la première, l’histoire est plus intéressante à suivre, plus proche de la fantasy urbaine. L’apparition de Gonzague et Tirésias y est bien sûr pour quelque chose. Les deux compères, « Le Guetteur et le Fileur de Rêves », protègent Jessica de ses propres pouvoirs. Ils sont l’incarnation moderne, sous la forme de deux vagabonds, d’entités anciennes. Tirésias et sa paire de lunettes magiques font certainement référence au Tirésias de la mythologie grecque, le devin aveugle. Jessica, quant à elle, est finalement moins mise en avant que la ville de Dublin elle-même.
Un autre personnage tient lieu de fil conducteur avec ces trois femmes, le Dr. Hannibal Rooke, le psychanalyste qui tente de faire parler l’inconscient et la puissance qu’il est susceptible de contenir. Il en fait l’expérience en rencontrant Emily, en traitant Jessica, puis en donnant des informations à Enye par des documents laissés à son attention. Le Dr. Rooke permet donc à Ian McDonald d’établir un pont entre les trois âges de son roman.
La partie consacrée à la troisième jeune femme issue de la même lignée, Enye MacColl, est de loin la plus prenante. Elle clôt habilement le tableau, amenant du dynamisme et donnant du sens aux deux précédents destins, liant ces trois héroïnes de façon irrémédiable et cyclique. Enye, plus mature que ses deux ancêtres, renoue avec les origines de ses pouvoirs cognitifs lors d’un combat final mémorable. Elle est aidée par des individus étonnants, humains le jour, monstres étranges la nuit, qui, tout comme Gonzague et Tirésias, peuvent faire penser à un style proche de celui de Neil Gaiman, notamment dans son roman American Gods.
Le triptyque fonctionne donc bien, malgré quelques longueurs et une intrigue parfois (volontairement ?) un peu floue. Ian McDonald met en scène de façon originale les mythologies irlandaises et plus largement celtiques, comme un héritage qui perdure à travers les ans dans la psyché humaine et qui ne demande qu’à être réveillé pour reprendre forme.