Les marteaux de Vulcain
Les auteurs dont la vie est devenue légendaire sont rares. Philip K. Dick est l'un d'entre eux, au point d'avoir désormais franchi les limites du cercle de la SF pour se voir reconnu comme une référence incontournable de toute la culture et des arts virtuels nés à la fin du siècle dernier. Mais qui était-il vraiment ? Selon ses biographes, ses exégètes, ses admirateurs, les interviews qu'il a données ou encore les personnes qu'il a côtoyées, les avis divergent. Fou mystique pour les uns, imposteur taquin pour les autres, il n'en reste pas moins que son œuvre témoigne d'une rare constance au niveau des thèmes abordés. La réponse la plus pertinente à cette question est certainement proche de celle que nous proposons : Philip K. Dick était le plus grand auteur de science-fiction qui ait jamais posé les doigts sur le clavier d'une machine à écrire !
Pour une I.A. l'homme n'est qu'un singe incompétent.
Dès la fin de la dernière guerre mondiale, en 1993, tous les survivants ont convenu que l'humanité était incapable de s'autogérer pacifiquement. Les nations du monde entier se sont alors volontairement placées sous la tutelle d'un super ordinateur de type Vulcain, dont la fonction sera désormais de superviser toutes les activités sociales et politiques. Les hommes, conscients de leur nullité, seront éduqués depuis leur plus jeune âge selon un programme qui leur permettra de devenir des adultes convenables. Les matières inutiles seront supprimées et seuls les idiots feuillèteront désormais les bandes dessinées traitant de sujet hors de leur portée tels que les sciences, les mathématiques, l'informatique... Alors que la troisième génération de l'IA Vulcain poursuit sa régence, un mouvement de rébellion commence pourtant à prendre de l'ampleur...
Un mauvais roman de Philip K. Dick ? Bel oxymore...
Reconnaissons-le d'emblée, Les marteaux de Vulcain ne fait pas partie des meilleurs romans de l'auteur. Tiré d'une nouvelle, ce livre mal aimé des chroniqueurs est toujours cité en exemple lorsqu'il est question de mentionner que même Phil Dick a produit des textes alimentaires médiocres. Pourtant, cela reste du Dick et à ce titre, le roman mérite de retenir l'attention. En premier lieu, proposons une définition simple de la notion de mauvais roman : un livre pendant la lecture duquel on s'ennuie. Cela n'est pas le cas avec Les marteaux de Vulcain pour peu que l'on soit sensible à l'univers de l'auteur. En effet, la plupart des éléments qui rendent un livre dickien sont là, en particulier cette opposition entre patron et employé, petit protagoniste et grand protagoniste (cf. l'ouvrage de Kim Stanley Robinson Les romans de Philip K. Dick), la valorisation de l'artisanat et du travail manuel à travers l'un des personnages clefs, une réalité cachée et révélée par un élu, l'insistance sur une forme de norme sociale illustrée par des détails triviaux (ambitions banales de la classe moyenne telles que l'acquisition de mobilier en chêne, intérêt des protagonistes pour leur avancement professionnel et leur rémunération, problèmes d'origine bureaucratique ou domestique...)
Un autre détail caractéristique de l'univers dickien : la présence d'oracles, devins et autres précogs. En effet, de Vulcain au
Yi king en passant par les personnages des
Chaînes de l'avenir ou de
Rapport minoritaire, la faculté de prévoir les événements à venir plane sur la quasi-totalité de ses textes, que l'on peut interpréter comme la quête d'un auteur rêvant de quelqu'un, ou de quelque-machine, prêt à partager avec lui ses connaissances au sujet de réel et de ses masques.
Les marteaux de Vulcain, au-delà d'un jugement strictement qualitatif, confirme pour le lecteur averti la forte impression de cohérence qui émane de toute l'œuvre de Dick, comme si l'ensemble constituait un diamant littéraire dont chacune des facettes serait une histoire. Peut-être parce qu'elles sont moins bien polies, certaines brillent moins que d'autres, mais émettre un jugement de valeur à ce sujet reviendrait à exprimer une vision partielle de la totalité du corpus. Philip K. Dick s'est peut-être consacré à la réécriture du même livre tout au long de sa carrière ! Une chronique au sujet de l'un des avatars de cette hypothétique
Bible secrète dickienne pourrait alors n'être qu'une ruse de la réalité ultime, une illusion de plus dans un univers aux apparences forcément trompeuses... Pour toutes ces raisons,
Les marteaux de Vulcain satisferont sans doute les dickopathes les plus atteints. Quant aux lecteurs encore sains d'esprit, ils contracteront plus facilement le virus en commençant avec
Glissement de temps sur Mars (par exemple...)