Les Joueurs de Titan
L’oracle Dick
Philip K. Dick est aujourd’hui célébré et loué par les moutons de Panurge de la critique littéraire française, au point qu’on oublie qu’il n’a pas écrit que des réussites. Gérard Klein a par exemple plusieurs fois objecté qu’il s’agissait d’un auteur majeur dont le style et les histoires pêchaient souvent...
Force est de constater que nombre de ses livres, surtout dans la première partie de sa carrière, ont été écrits rapidement (par exemple
Loterie solaire), et reprenaient des thématiques conventionnelles. Dick a aussi écrit des romans inégaux, mais contenant des moments décalés, typiques de ses chefs-d’œuvre à venir comme
Ubik. C’est le cas des
Joueurs de Titan (1963) qui, par moments, bascule dans le sublime et témoigne du ton très personnel de son auteur.
Après la guerre
Le roman se déroule dans un futur où une guerre avec la planète Titan a ravagé la surface de la planète Terre, exterminant la quasi-totalité des humains. Les survivants font peu d’enfants (l’obsession de la procréation constitue une des clefs du livre) mais ont gagné une espérance de vie bien plus grande. Deux millions de Terriens doivent cohabiter avec leurs vainqueurs titaniens, les Vugs. Cette espèce a mis en place le "jeu", qui occupe désormais la vie des humains (enfin de ceux situés en haut de la pyramide sociale, les « Possédants », les seuls habilités à jouer au jeu) car il permet, en un lancer de dés ou grâce au bluff, de posséder ou de perdre des villes, ainsi que des femmes. Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête. Les humains ne sont pas stériles, ils ne peuvent avoir des enfants que s’ils rencontrent le partenaire qui leur est « accordé ». C’est ici ce qui tourmente Pete Garden.
Garden vient de perdre sa propriété de Berkeley ainsi que son épouse. Il demande à un ami ancien Possédant, Joe Schilling, de l’aider à récupérer sa ville préférée en participant aux parties de son groupe, le Pretty Blue Fox. Le problème est que Berkeley a été récupéré par un joueur de la côte Est, Jerome Luckman, bientôt assassiné. Pete Garden est le suspect idéal, y compris pour les Vugs qui surveillent l’humanité. Bientôt, Garden a des absences, ne se souvient plus de tout ce qui lui arrive. Pire, il voit les Vugs partout, sous l’apparence d’humains. Garden va devoir jouer bien au-delà de ce qu’il pensait…
Obsessions thématiques
On retrouve dans
Les Joueurs de Titan beaucoup de thèmes ou de schémas dickiens : le jeu, les télépathes et les precognitifs (l’obsession du mutant parcourt Dick jusqu’à un roman tardif comme
Coulez mes larmes, dit le policier). Le thème du double inspire à notre auteur un passage extrêmement troublant, lorsque nos joueurs menés par Garden affrontent des Vugs qui ont pris leur apparence… Les avertissements que se laisse Garden à lui-même concernant la vraie nature de certains de ses interlocuteurs (sur son paquet d’allumettes par exemple) laissent poindre une angoisse assez forte (la peur de la schizophrénie ?). Garden, enfin, en proie à des délires intenses (inspiré à Dick par ses premières expériences avec la drogue ?) se retrouve marié à une femme qui tombe enceinte de lui. Il est heureux mais se pose des questions sur cette soudaine paternité: ne serait-ce pas un leurre ?
Car le doute imprègne de plus en plus l’intrigue à partir de la moitié du roman (après un démarrage laborieux) : on se demande avec Garden ce qui est réel et qui ne l’est pas. Tout indique que Philip K. Dick était en train de se révéler à lui-même à cette période. C’est ce qui fait tout le sel des Joueurs de Titan.