Trois petits singes

Emilio Van Der Zuiden est un auteur belge. Si son histoire se passe en 1967, ce n’est peut-être pas un hasard : c’est bien cette année-là qu’il voit le jour en Belgique ! Passionné depuis tout jeune par la bande-dessinée depuis qu’il a lu Lucky Luke, il sera graphiste puis directeur artistique pour la presse. Depuis quelques années il est revenu à ses premières amours, avec notamment Les enquêtes auto de Margot puis Les filles de l’oncle Bob. Aussi doué au scénario qu’au dessin, il prendra les deux rôles pour Mc Queen, et laissera la couleur aux bons soins de Fabien Alquier.

Détective privé aux méthodes douteuses !

Mc Queen est un détective privé pas comme les autres : avec sa peau bleue, son visage simiesque et ses manières bestiales, on peut penser qu’il mérite assez bien son surnom de « macaque ». Mais ses méthodes ne sont pas employées à de mauvaises fins !

Voilà quelque temps que la miss de Crécy a disparu et son oncle, ancien colonel réorienté dans le marché de l’art, désire la retrouver elle et son secrétaire particulier. En effet, ils se sont fait la malle tous les deux, avec une statuette ancienne d’une valeur de plusieurs milliers de dollars. Il décide alors de faire appel à un détective privé dont la réputation (et la discrétion semble-t-il ? Mais cela reste à prouver...) n’est plus à faire : Mc Queen.

Mais ce dernier est déjà sur une affaire très personnelle, et confie alors les investigations à son meilleur ami et associé Pépé Fregasol. Naturellement, ils mèneront l'enquête de leur façon singulière, qui en ravira plus d’un !

« Appelle-moi encore « le macaque » et je te brise les deux jambes, sale punk »

Voilà une citation qui résume parfaitement l’ambiance de la bande-dessinée, ainsi que notre protagoniste principal. Malgré sa face de gorille, le look de Mc Queen et sa répartie en imposent. Ce personnage bien original, avec sa morale bien à lui et ses motivations très personnelles, séduira les lecteurs les plus exigeants. Point de manichéisme, la finalité de ses actions justifient tous les moyens employés, même les moins légaux ; et ne nous le cachons pas, c’est exactement ce qu’on aime ! Armes à feu, insultes, embuscades, tout est bon pour Mc Queen pour arriver à ses fins.

L’univers que nous présente Emilio Van Der Zuiden est riche, et renvoie automatiquement vers les références que l’on peut avoir sur les années soixante aux Etats-Unis : films, livres, musiques, illustrations, toutes les représentations de cette époque sont évoquées. Cette bande-dessinée en sera une de plus tant elle colle avec l’image de cette période de l'histoire du vingtième siècle : flics corrompus, discriminations, communautés, drogues, clubs de strip-tease, rackets, trafics en tous genres et autres activités lucratives !

Il s’agit bien d’un album mature, qui se destine à un public adulte. L’univers, les personnages secondaires, les voitures, les clubs, mais aussi les protagonistes (surtout les femmes avec leurs courbes plantureuses !), l’ensemble est dépeint avec beaucoup d’originalité, de profondeur et de complexité. L’intrigue prend en ampleur au fil des planches, et l’auteur joue sur un double tableau, jonglant entre l’enquête personnelle de Mc Queen, la recherche de miss De Crécy et les rebondissements qui s’en suivent.

La construction est diablement efficace, le tout servi par un dessin et une construction graphique assumés. Les dessins, semi-réalistes, sont nets et précis. Le trait, très agréable, met en avant les visages et expressions, ainsi que les courbes féminines et les décors. Le contour des pages est noir, élément rare dans les bandes-dessinées franco-belges, et souligne la noirceur et la maturité de cette BD. La mise en couleur sied bien aux dessins, et colle parfaitement avec l’ambiance dégagée aussi bien par les images que par le texte. L’ensemble, du scénario à la couleur en passant par le dessin, est très cohérent, et ravira les lecteurs tant il est aisé de se laisser happer par cette BD.

L’auteur, jouant avec son lecteur, se paye même le luxe d’incorporer une planche qui se lit de bas en haut, révélant alors la réussite et l’intuitivité de la construction de son album : on ne se perd pas une seule seconde ! Au final, vous l’aurez compris, cet album est un vrai coup de cœur. A la fois mature, sombre, complexe, drôle et sexy, le résultat ravira les lecteurs adeptes du genre, et plaira sûrement aussi aux plus récalcitrants !