Le voyage improbable, Tome 1
Au scénario, au dessin et à la couleur, nous retrouvons Turf. Cet artiste marseillais, diplômé de l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, n’en est pas à son premier coup d’essai. Il se démarque par une volonté marquée de maîtriser le processus de création jusqu’au bout : scénario, dessin, couleur, dans la plupart de ses œuvres il réalise intégralement le travail, avec parfois un côté perfectionniste. Il en a été le cas par exemple pour Magasin sexuel, Gribouillis, ou sa série phare, La nef des fous (7 volumes et 17 ans de travail !). Il nous revient maintenant avec un diptyque prometteur : Le voyage improbable.
Boum !
Une explosion propulse le phare d’Ouestan et une petite parcelle de terre, avec les personnes dessus, vers les différentes couches de l’atmosphère et de la stratosphère, avant de rentrer dans l’espace.
Il faut dire que lorsque le professeur Schnaps découvre un précieux squelette de plésiosaure à deux têtes proche du phare, et qu’il entame des fouilles paléontologiques le poussant vers la célébrité, les choses ne pouvaient pas toujours parfaitement tourner ! Quand il approche, par mégarde, son cigare d’un gisement de gaz naturel, la suite était prévisible...
Et c’est ainsi que le professeur Schnaps, deux ravissantes étudiantes, le professeur Noodle, le gardien du phare et le professeur (escroc) Fruchttück, se retrouvent tous ensemble à bord d’une fusée-phare, obligés de partager l’espace, les réserves de nourriture, le lit et les toilettes. Ce lieu confiné et cette situation pour le moins extraordinaire révèleront les personnalités de chacun !
Grisant.
Ce n’est pas un secret de dire que Turf a un univers bien à lui. A la fois drôle, coloré, absurde et satirique, il sert à ses lecteurs une vision qui lui est propre à chaque album ; et encore une fois, Le voyage improbable ne déroge pas à la règle.
Son dessin à la fois drôle, expressif, percutant, généreux et détaillé, se prête à merveille au scénario proposé. Les expressions des visages appuient un peu plus les paroles de chaque protagoniste (et les joutes verbales sont nombreuses), servant ainsi l’ensemble pour plus de réalisme. Les décors sont convaincants, et on sent un souci du détail dans chaque planche. L’ambiance retranscrite plonge le lecteur dans un univers loufoque, où les références s’enchainent et les bizarreries nous ravissent !
Les protagonistes sont tous poussés à l’extrême, avec le gardien de phare acariâtre, à la fois solitaire et agoraphobe, ne jurant que par les petits-pois carottes et les sardines ; les étudiantes sexy et naïves ; le professeur Noodle, avec ses manières à l’anglaise ; le professeur Schnaps et sa manie de toujours la ramener ; et l’escroc insupportable, peureux, pessimiste et mal-élevé... Turf nous dépeint une équipe prometteuse dans leurs interactions ! Il ne fait pas dans la demi-mesure, et c’est tant mieux. Il n’y en a vraiment pas un pour rattraper l’autre, et c’est ainsi que chaque dialogue prend de l'intérêt.
Cette équipe formidable se retrouve propulsée dans l’espace, et pêchera le Spoutnik à la canne à pêche. Elle retrouvera Laïka, la chienne envoyée dans l’espace et qui a maintenant 60 ans... mais rassurez-vous, elle va bien ! Autant de situations à la fois absurdes, drôles et burlesques, qui raviront les lecteurs. Mais sous un aspect bon enfant presque naïf se cache en réalité un background plus complexe et sérieux, avec les clins d’œil de Turf pour des classiques.
Ce premier tome d’un diptyque met l’eau à la bouche, et on sent déjà le regret que la série soit si courte. L’ensemble, agréable à lire, se situe dans un intervalle comprenant des aspects fantastiques, ubuesques, poétiques, oniriques et réfléchis. En somme, ne pourrions-nous pas dire turfesque ?