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Le Dernier Vodianoï

Julien Heylbroeck ( Auteur), Arro (Illustrateur de couverture)
Aux éditions : 
Date de parution : 30/11/15  -  Livre
ISBN : 9791095443056
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Ariane   - le 31/10/2017

Le Dernier Vodianoï

Au terme d’un parcours semé d’embûches, le premier roman de Julien Heylbroeck, écrit en 2012, vient tout juste de sortir aux éditions OVNI. Pourtant, Heylbroeck est loin d’être un inconnu pour les lecteurs d’ActuSF, qui avait déjà publié en 2014 son très apprécié Stoner Road. Pendant longtemps scénariste pour jeux de rôle et depuis 2013 co-fondateur des éditions TRASH, l’écrivain français s’intéresse à de multiples thèmes de la littérature populaire et tout particulièrement au fantastique et à ses monstres : si Stoner Road le faisait en versant dans le white trash sous le soleil de Californie, Le Dernier Vodianoï, lui, se penche sur les créatures peuplant les bylines russes... et l’URSS.
 
« L’évolution de l’humanité ne peut se faire tant qu’elle reste sous le contrôle de créatures rétrogrades trop vieilles pour appréhender ce qu’est le changement – Discours de Lénine lors du IIIe congrès de la Komspetssov »
 
Trente ans après la révolution bolchévique, les travailleurs de l’Union soviétique consentent à tous les sacrifices pour progresser vers les lendemains qui chantent. Le jeune Ilya Krasnov y œuvre à sa façon. Pour ses proches, il n’est qu’un agent administratif exemplaire attaché au GOSPLAN : ils sont loin de se douter qu’Ilya appartient en réalité à la Komspetssov, une division secrète chargée de traquer et d’éliminer les éléments antisoviétiques rétrogrades… à savoir les créatures des contes de fées slaves. Car celles-ci sont bien réelles : après avoir tenu pendant des siècles l’humanité sous leur joug, elles se terrent à Bouïane, leur dernier bastion, et menacent toujours le développement de la jeune Union soviétique…
 
Mais cette version des faits est-elle tout à fait vraie ? Les évènements risquent bien de contraindre Ilya à tout remettre en question…
 
Quand le communisme soviétique est rattrapé par le merveilleux
 
Avec son fond rouge et sa mise en page qui rappellent irrésistiblement les affiches de propagande de l’URSS, l’illustration de couverture du Dernier Vodianoï ne manquera pas d’attirer l’attention du lecteur en quête de nouveauté ; le résumé au dos du livre achèvera quant à lui de le retenir. Devant le cortège de créatures féeriques qui nous y est promis, on s’imagine un roman dans la lignée des Artemis Fowl : pourtant ici, trêve d’Irlande, de technologie moderne et de farfadets ; nous sommes de l’autre côté de l’Europe, en pleine URSS stalinienne, et le communisme et l’Histoire s’entremêlent avec un folklore russe peu connu de par chez nous. Toute la difficulté réside ensuite à faire coexister les deux plans au même niveau, d’autant que Heylbroeck ne se contente pas d’utiliser l’URSS stalinienne comme un simple arrière-plan contextuel – nous nous approchons au contraire au plus près des rouages du pouvoir. Tandis que le mage Raspoutine rejoint Baba Yaga au rang de légendes vivantes, les mystérieux boguinki, antchoutki, volkodlaki, antsybaly et autres oplétai côtoient de façon inattendue les figures historiques de Beria, de Iejov et de Staline lui-même.
 
Ce mélange audacieux ne manque pas de détonner agréablement dans le paysage du fantastique : et malgré quelques maladresses sur le plan narratif, Heylbroeck s’en sort plutôt bien pour un premier roman. Le lecteur est progressivement introduit aux différentes créatures et légendes du folklore russe, parfaitement maîtrisées par l’auteur et rassemblées dans un ensemble cohérent ; parallèlement, le regard jeté sur la société soviétique retranscrit avec simplicité mais justesse l’ambiance fébrile, à la fois zélée et angoissée, qui caractérise l’époque. Le ton pourrait être beaucoup plus grave, mais le portrait de l’URSS sous Staline ne pouvait qu’être tempéré par sa coexistence avec le merveilleux.
 
L’idée était prometteuse et l’histoire se déroule avec fluidité. Pourtant, le résultat manque de profondeur : le roman se cantonne à des ressorts scénaristiques plutôt classiques, l’écriture et les personnages souffrent parfois d’une certaine raideur et le tout mériterait finalement plus de nervosité. Mais mettons ces quelques défauts sur le compte d’un premier roman et des précautions prises pour ne pas trop dérouter le lecteur peu familier de la culture russe – historique ou folklorique. Même si nous restons un peu sur notre faim, Le Dernier Vodianoï reste un exercice d’équilibriste original issu d’un imaginaire fertile et mérite à ce titre que l’on s’intéresse à lui. Malgré ses faiblesses, il pourrait bien se révéler un bon divertissement pour le lecteur qui lui donnera sa chance.

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