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L'Épée de l'ancillaire

Patrick Marcel (Traducteur), Sébastien Hue (Illustrateur de couverture), Ann Leckie ( Auteur)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 06/04/16  -  Livre
ISBN : 9782290111376
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Florie   - le 31/10/2017

L'Épée de l'ancillaire

Née en 1966, Ann Leckie a connu une carrière éclectique avant de devenir romancière. Elle a publié plusieurs nouvelles, notamment dans les magazines Strange Horizons et Realms of Fantasy. Son premier roman, La Justice de l’ancillaire, a remporté en 2014 le prix Hugo du meilleur roman, ainsi que le prix Nebula, le prix Arthur C. Clark et le prix BFSA. L’Épée de l’ancillaire est le deuxième tome de la trilogie. Le troisième et dernier volume, La Miséricorde de l’ancillaire, vient de paraître en français dans la même collection.

Après avoir suivi Breq dans sa quête de vengeance jusqu’à Anaander Miaanaï elle-même, la Maître de l’Empire du Radch lui confie un vaisseau, le Miséricorde de Kalr, et un équipage afin de protéger la Station Athoek. Entre jeux de pouvoir, intrigues politiques et secrets étranges, la capitaine Breq devra naviguer dans ces eaux troubles pour maintenir la paix sur la Station…

Une autre facette du Radch

Le premier tome, La Justice de l’ancillaire, introduisait l’Empire du Radch, les vaisseaux qui sont des intelligences artificielles, ainsi que l’histoire de Breq et ses compagnons. On y rencontrait de nouveaux personnages et on suivait Breq à travers une aventure pleine d’action, de mystères et de révélations alors qu’elle cherchait à se venger de celle qui avait détruit le vaisseau qu’il était.

L’Épée de l’ancillaire se passe uniquement dans l’espace du Radch, sur la station spatiale d’Athoek. La narration garde ainsi une unité de temps et de lieu, là où le premier tome nous faisait voyager à la fois à travers la galaxie et dans le passé. C’est une autre facette de l’Empire radchaaï qui est présentée : nous vivons de l’intérieur le modèle politique et social de cette civilisation, preuve qu’Ann Leckie a vraiment pensé en profondeur à la culture de son Empire galactique.

Fraîchement arrivée sur la station, Breq devra en comprendre les rouages politiques et comprendre les problèmes sous-jacents afin de maintenir la paix. Ainsi, la narration se montre plus posée et linéaire que le premier tome, davantage tournée vers la culture et les relations entre les personnes. Mais l’action et les mystères ne sont pas en reste alors que Breq tente de démêler qui sont ses amis et ses ennemis, ou encore pourquoi toute une partie de la Station, le sous-jardin, n’a jamais été réparée.

Une galerie de personnages réussie

En parlant de relations entre les personnes, les nouveaux personnages présentés dans ce tome 2 sont particuliers et attachants, chacun à leur manière.
 
Le Miséricode de Kalr lui-même, au service de Breq, permet d’introduire une autre IA comme personnage. Certains officiers du vaisseau, comme Kalr 5 et son attachement aux services à thé et à l’apparat, ou encore la lieutenant Tisarwat, jeune recrue de dix-sept ans à peine, offrent une personnalité travaillée et complexe à partir de quelques attitudes et habitudes, alors même que ni leur apparence physique ni leur sexe ne sont précisés. Certains personnages, pourtant désignés uniquement par leur fonction (par exemple Médic) parviennent pourtant à se rendre attachants par leurs actions, leur comportement et leurs choix.

Comme dans le premier tome, Ann Leckie a fait le choix de désigner toutes les personnes avec les mêmes pronoms de genre : le féminin. Cela s’explique par une particularité de la culture radchaaïe : les citoyens ne s’inquiètent guère plus du genre des personnes que de leur couleur de cheveux, ainsi toutes sont désignées de la même manière et aucune différence d’apparence ou d’attitude n’est associée à l’un ou l’autre des sexes biologiques, alors même que toutes sont humaines, comme nous.

Si l’on ajoute à cela de très rares descriptions physiques des personnages, le lecteur se retrouve avec une vision très peu claire du physique de chaque personnage, même les principaux. Sont-elles hommes ou femmes ? Petites ou grandes ? Avec quelle couleur de peau, de cheveux ?
 
Si cette particularité peut désarçonner au début (notamment dans le premier tome), on s’y habitue au fil de la lecture et on s’attache aux personnages grâce à leurs actions, leurs pensées, leurs émotions, et non pas par leur physique. Cela balaye de nombreux stéréotypes que l’on pourrait associer inconsciemment à certains types de physique. D’ailleurs, Ann Leckie a elle-même reconnu en interview qu’elle n’avait pas assigné de sexe ni de genre à ses personnages afin de ne pas être elle-même victime de ses préjugés inconscients au moment de les créer.

Une prise de position inhabituelle, qui pourrait être engagée si ce n’était pas si secondaire par rapport à l’histoire, mais qui n’enlève en rien la complexité et l’attachement que l’on tisse avec les personnages au fil du roman. Au contraire, la création de personnages tout en relief est l’une des forces d’Ann Leckie dans cette trilogie.

Une critique sociale sous-jacente ?

Athoek est une planète qui a été annexée voilà quelques centaines d’années, l’une des dernières annexions de l’Empire, en d’autres termes. On y trouve une culture locale en cours d’assimilation, des fêtes représentant l’histoire de cette annexion, mais aussi un système social inégalitaire où les habitants d’une planète récemment annexée travaillent sur les plantations de thé dans une condition de quasi-esclavage. Breq, en tant que représentante de la Maître du Radch, arrive en position de pouvoir et voit les puissants d’Athoek lui faire les yeux doux pour rester dans ses bonnes grâces.
 
Si l’Empire du Radch est une société fictive, on pourrait voir, à travers ce plongeon dans la société radchaaïe, une critique de certaines dérives de notre propre société : de l’exploitation des faibles à l’accès au pouvoir par connexions davantage que par mérite.

Au fil de l’histoire, Breq prend un certain nombre de décisions qui montrent une prise de position morale dans cette société : elle protège les faibles et défend la justice, cherche la vérité sous le masque de l’hypocrisie et fait de son mieux pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres, tout en restant réaliste sur les limites de ce qu’elle peut accomplir.

Doit-on y voir un reflet des valeurs d’Ann Leckie ? Impossible de le savoir, mais cette prise de position du personnage principal amène à réfléchir sur des notions universelles de justice, d’égalité et de mérite.

Malgré tout, ces réflexions restent en second plan par rapport à l’action, l’aventure et la découverte propres à une œuvre de science-fiction. Ainsi, L’Épée de l’ancillaire n’est pas un roman engagé, militant ou social. L’histoire est avant tout divertissante et immersive, mais cette présentation de la société d’Athoek et les choix de Breq apportent une profondeur de réflexion et offrent un bel équilibre entre divertissement et réflexion.

Dans la lignée du premier tome des chroniques du Radch, L’Épée de l’ancillaire poursuit les aventures de Breq, Seivarden et son équipage dans l’univers tout particulier créé par Ann Leckie. Aventure et réflexion se mêlent habilement pour une histoire haletante et des personnages attachants. Il s’agit du genre de livre que l’on lit jusqu’au petit matin et dont on referme la dernière page en ne souhaitant qu’une chose : lire le tome suivant.
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