Marina et Sergueï Diatchenko sont des écrivains ukrainiens œuvrant dans l'imaginaire. Ils ont publié une trentaine de roman dans leur pays et sont pourtant assez peu connus en France. Ils ont commencé à écrire dès 1994 et ont reçu de nombreux prix littéraires et cinématographiques dont le prix de meilleurs écrivains du fantastique européen lors de l'Eurocon 2005. Vita Nostra est paru en 2007 mais n'est arrivée en France qu'en octobre 2019. C'est le premier tome d'une série appelées Les Métamorphoses. Cependant, les romans de ce triptyque n'ont de commun que le thème de la métamorphose. Les deux autres romans du cycle s'appellent: Numérique, ou brevis est doit paraître cette année, parlera de l'univers virtuel des jeux vidéo et Migrant, ou brevi finietur parlera d'exploration spatiale.
Un roman stupéfiant et éblouissant
Vita Nostra est un roman dans lequel on entre très facilement car le début se déroule dans un contexte très simple mais qui peu à peu nous déroute, nous fait nous poser de nombreuses questions dont les réponses viendront tardivement car comme les personnages, il faut vivre l'histoire pour la comprendre, on ne peut pas l'expliquer. Il faut lire ce roman et se laisser porter par lui, par son rythme, son histoire, ses personnages et peu à peu tout s'éclaire. C'est indubitablement un roman à part, une oeuvre mélangeant plusieurs thématiques qui parleront plus ou moins différemment à chaque lecteur, un récit d'initiation mais pas seulement, et surtout un très très beau roman.
Alexandra Samokhina surnommée Sacha part en vacances avec sa mère dans uns station balnéaire en Crimée. Elle est très heureuse d'aller passer ces quelques jours au bord de la mer qu'elle adore et de profiter d'un bol d'air dans sa vie faite d'études et de la vie du quotidien. Tout se passe très bien les premiers jours jusqu'à sa rencontre avec un homme étrange portant des lunettes noires. Pour une raison inconnue, cet homme terrifie Sacha et semble à tout prix vouloir lui parler. Cette rencontre va complètement changer sa vie après que cet homme lui aie confié une étrange mission que Sacha ne peut refuser. Jouant sur les peurs de la jeune fille, il obtient ce qu'il veut d'elle et la force à aller poursuivre ses études à l'institut des technologies spéciales, une école dont Sacha ignore absolument tout, située dans une toute petite ville inconnue, Torpa. La mort dans l'âme, et faisant une croix sur tout ce qu'elle aimait et qui faisait sa vie jusque là, Sacha part donc là-bas pour y étudier et y vivre en internat dans un univers inconnu. Elle va découvrir un monde inconnu, des étudiants de première année qui comme elle se demandent ce qu'ils font là, et les autres élèves qui se comportent de manière étrange. Les questions fusent pour Sacha: que fait elle là? Qu'est ce cette spécialité? Que lui arrivera t'elle si elle quitte l'institut ou qu'elle échoue? Qui est Farit Kojennikov, le fameux homme en noir ? Et quel est réellement le contenu de ces cours?
Une tension de tous les instants
Quasiment dès le début du roman, la tension est présente. Sacha subit ce qui lui arrive, elle est obligée d'aller dans un endroit inconnu, seule, loin de sa famille. Ce qui l'oblige à y aller est un sentiment de peur pour ses proches, une émotion viscérale permanente entretenue par Farit Kojennikov depuis sa rencontre. Puis le danger vient des professeurs de ce fameux institut qui entretiennent un climat de stress continu pour les élèves sans jamais rien leur expliquer de ce qu'ils étudient réellement, ni feront plus tard.
Cette tension se transmet aussi au lecteur qui tremble pour ces personnages mais se posent aussi les mêmes questions qu'eux. Il faut être honnête, la lecture de Vita Nostra est complexe, on ressent le stress des protagonistes, on n'arrête pas de se demander où tout cela nous mène, à se demander quel est le fin mot de cette histoire. Et pourtant, malgré cela, on est profondément attaché à cette histoire, à cette narration, à tout le roman au point de ne pas le lâcher. C'est là tout le paradoxe et l'aspect formidable de ce roman, il arrive à nous fasciner, nous ensorceler complètement tout en nous laissant dans une espèce de brume de questionnements. Comme ne le cessent de le répéter les professeurs de Sacha, il faut vivre les choses pour les comprendre, ainsi il faut lire ce roman pour le comprendre.
Des thématiques nombreuses
Vita Nostra est un roman dense et difficile à classer. Par certains côtés, on y retrouve un côté roman initiatique qui fait penser à Harry Potter ou au roman Les Magiciens de Lev Grossman. L'héroïne se retrouve dans une école étrange vivant dans un internat loin de tout. On peut aussi y voir une métaphore des études, années qui peuvent être difficile où l'on s'éloigne de tout ce qui faisait notre quotidien pour aller vers l'inconnu. C'est aussi à ce moment là que l'on devient adulte (ou que l'on essaie) avec tous les changements qui vont avec et les fameuses métamorphoses que subit Sacha, les métamorphoses symbolique de la série. Les changements de Sacha l'éloignent de sa famille, de sa mère qui a du mal à la voir partir si brutalement.
Le titre du roman venant de la devise de l'institut est aussi porteur de sens: Vita nostra brevis est, brevi finietur…qui signifie Notre vie est brève, elle finira bientôt… Il faut profiter de la vie, la vivre pleinement, s'affranchir de ses peurs, les affronter. On ne peut expliquer vraiment à un enfant ce qu'est la vie, de quoi elle sera faite, il faut la vivre, l'affronter, la comprendre ou pas. Le roman parle aussi du pouvoir des mots, des récits, de la création. Le langage et son impact sont au centre du roman. Autant de thématiques qui parleront différent à chaque lecteur.
Vita Nostra est une lecture complexe, passionnante, déroutante, totalement prenante où chaque lecteur y trouvera un sens, quelque chose qui le touchera. C'est un roman brillant, étouffant parfois, qu'il faut lire!